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propositions agréables. Cette question se rattache étroitement à celle dont je viens de m’occuper. Elle est due comme la première à une préoccupation beaucoup trop grande de l’homme dans la recherche scientifique du bien. Je vois bien l’objection, que l’homme ne peut pas en définitive sortir de lui-même. Sans doute, il est tout à fait vain en philosophie de prétendre trouver une vérité absolue, existant en soi, et en dehors de tout rapport avec l’esprit qui la trouve. Aussi serait-il vain en morale de chercher des règles de conduite absolues, ne se rapportant en rien à la nature de l’homme. Mais ce n’est pas là ce dont il s’agit, et ce n’est pas ce que je demande. Il faut seulement prendre dans l’homme les tendances essentielles de l’homme, et voir comment ces tendances peuvent agir et se combiner avec d’autres tendances, de manière à ce que l’organisation devienne parfaite. Si nous ne pouvons pas arriver théoriquement à réaliser cette harmonie, c’est que l’idéal de l’homme implique contradiction, car le principe de contradiction a la même valeur en morale et en logique et est susceptible non pas des mêmes applications, mais d’applications analogues, et nous retombons dans le cas précédemment examiné. Si nous pouvons y arriver, il ne faut pas hésiter devant le sacrifice de tendances accessoires qui, sans être essentielles à l’homme, tiennent une grande place dans sa nature actuelle. Or, beaucoup de moralistes ont été enclins à exagérer l’importance de sentiments qui se trouvent actuellement dans l’homme, mais qui ne sont nullement une partie nécessaire de sa nature, et cela provient de l’erreur qui fait prendre pour des sentiments essentiels ceux que nous discernons dans la plupart des hommes que nous connaissons ou que nous imaginons.

De même que l’homme avait jadis fait Dieu à son image, il a abusé de l’anthropomorphisme dans la construction de son idéal moral. On peut se rendre compte facilement, en écoutant parler les gens, que chacun se fait un idéal particulier de l’homme. Vous entendez souvent émettre des aphorismes convaincus sur les actes qu’on doit et sur ceux qu’on ne doit pas faire, sur les sentiments qu’on doit et sur ceux qu’on ne doit pas éprouver, et naturellement chacun croit que son idéal, dont il est généralement assez aisé de déterminer la formation, est valable pour tous les hommes. L’histoire montrerait également des types plus généraux correspondant aux diverses civilisations. Mais, au milieu de tout cela, on a oublié l’homme en général. Je sais bien que, de nos jours, et principalement dans les écoles qui ont combattu la vieille métaphysique et la vieille théologie, on s’est habitué à ne considérer que les hommes en particulier, tout au plus chaque groupe concret, et que l’homme en général parait une abs-