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PAULHAN.le devoir et la science morale

de l’organisme et de la complexité relativement incohérente des processus psycho-physiologiques ; ce qui peut la faire considérer comme un signe de perfection, c’est qu’on la voit souvent apparaître, quand les actions psychiques se compliquent et acquièrent une variété plus grande, mais ce qui montre bien qu’elle est en somme le signe d’une imperfection, c’est qu’elle disparaît quand l’unification psycho-nerveuse est devenue plus complète, et qu’elle ne reparaît plus que si l’habitude automatique acquise est troublée par des circonstances particulières qui l’empêchent de fonctionner avec sa perfection ordinaire. C’est à cette conclusion que paraissent conduire à la fois les données de la physiologie et celles du sens intime. La physiologie nous montre que la production de la conscience s’accompagne d’un afflux de sang plus considérable, d’une chaleur plus intense, d’un trouble moléculaire plus marqué, et que ces phénomènes disparaissent à mesure que la systématisation des actes se fait plus facilement à la suite de l’habitude. L’observation interne nous montre une série décroissante d’états de conscience allant depuis l’émotion intense jusqu’à la conscience très affaiblie, et nous apprend que l’habitude, en facilitant l’organisation psychique, fait décroître le degré de vivacité et d’intensité de la conscience, en passant par l’émotion vive, la connaissance accompagnée de sentiment, la connaissance indifférente, et la conscience vague qui se résout souvent en une habitude automatique. Sans doute, cette loi de la conscience n’est pas toujours facile à reconnaître, et ne se manifeste pas avec la régularité que j’indique, mais on peut la retrouver et la démêler à travers les exceptions apparentes.

Supposer à l’homme le degré de perfection le plus élevé que nous puissions imaginer, c’est le supposer arrivé à un état complet d’automatisme, les actes intellectuels et les sentiments étant réduits à des réflexes de plus en plus complexes et automatiques à la fois. Tout fait de conscience, toute pensée, tout sentiment suppose une imperfection, un retard, un arrêt, un défaut d’organisation ; si donc nous prenons pour former le type de l’homme idéal cette qualité que toutes les autres supposent et qui ne suppose pas les autres, l’organisation, et si nous l’élevons par la pensée au plus haut degré possible, notre idéal de l’homme est un automate inconscient, merveilleusement compliqué et unifié. Je ne puis ici m’attarder à développer et à défendre cette conception qui est, comme on le voit, absolument incompatible avec l’idée courante que la perfection s’accompagne du bonheur et que le bonheur est la fin dernière de la morale.

La théorie morale exposée dans ce travail se rattache au groupe