Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/650

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
646
revue philosophique

des théories qui admettent que l’objet de la morale est le bien ou la perfection. En même temps elle entend par ces mots non une entité métaphysique, mais une loi, un mode de groupement des phénomènes, à savoir le mode de groupement qui manifeste au plus haut degré possible un caractère d’harmonie, de finalité immanente, de systématisation. On a fait plusieurs objections à ce procédé qui consiste à prendre la perfection comme fin de la morale. J’examinerai ici celles que M. Spencer a faites en s’appuyant sur une sorte d’utilitarisme rationnel et qui rentrent dans le sujet de ce chapitre.

« Il est étrange, dit M. Spencer, qu’une notion aussi abstraite que celle de perfection, ou d’un certain achèvement idéal de la nature ait jamais pu être choisie comme point de départ pour le développement d’un système de morale. Elle a été acceptée cependant d’une manière générale par Platon, et avec plus de précision par Jonathan Edwards. Perfection est synonyme de bonté au plus haut degré. Définir la bonne conduite par le mot de perfection, c’est donc indirectement la définir par elle-même. Il en résulte naturellement que l’idée de perfection, comme celle de bonté, ne peut être formée que par la considération des fins.

« Nous disons d’un objet inanimé, d’un outil, par exemple, qu’il est imparfait, quand il manque d’une partie nécessaire pour exercer une action efficace, ou lorsqu’une de ses parties est conformée de manière à l’empêcher de servir de la façon la plus convenable à l’usage auquel il est destiné.

« Appliqué aux êtres vivants le mot perfection a le même sens…

« Nous n’avons pas d’autre moyen de mesurer la perfection quand il s’agit de nature mentale…

« Aussi la perfection d’un homme considéré comme agent veut dire qu’il est constitué de manière à effectuer une complète adaptation des actes aux fins de tout genre. Or, comme nous l’avons montré plus haut, la complète adaptation des actes aux fins est à la fois ce qui assure et ce qui constitue la vie à son plus haut degré de développement, aussi bien en largeur qu’un longueur. D’un autre côté, ce qui justifie tout acte destiné à accroître la vie, c’est que nous recueillons de la vie plus de bonheur que de misère. Il résulte de ces deux propositions que l’aptitude à procurer le bonheur est le dernier critérium de la perfection dans la nature humaine. Pour en être pleinement convaincu il suffit de considérer combien serait étrange la proposition contraire. Supposez un instant que tout progrès vers la perfection implique un accroissement de misère pour l’individu ou pour les autres ou pour l’un et l’autre à la fois, puis essayez de mettre en regard cette affirmation que le progrès vers la perfection