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ANALYSES.g. de greef. Introduction à la sociologie.

Parmi les faits sociaux énumérés plus haut, il en est qui ont des rapports immédiats avec les phénomènes physiques, d’autres qui dépendent plus directement de la matière organique, d’autres enfin qui sont caractérisés par la prédominance des caractères émotionnels et intellectuels. De là résulte toute une classification. Les faits sociaux primaires sont les plus généraux. Ce sont ceux qui s’éloignent le moins du monde matériel. Les phénomènes sociaux supérieurs sont au contraire ceux qui présentent les qualités les plus complexes et les plus spéciales. Cela posé l’auteur propose la classification suivante : En premier lieu il met les phénomènes économiques, car il n’y a point de fait social qui ne contienne des éléments économiques ; en deuxième lieu les phénomènes génésiques (famille, mariage), car le besoin de reproduction est postérieur au besoin de nutrition ; puis viennent les faits relatifs aux croyances, les phénomènes moraux, juridiques, et enfin politiques. Naturellement, les sciences correspondantes devront être classées dans le même ordre.

Comme on le voit, il y a beaucoup de choses et d’idées dans ce livre qu’on lit avec intérêt, malgré des répétitions sans nombre qui parfois fatiguent l’attention. Il y a bien des tours et des détours dans l’exposition de l’idée qui sans cesse revient sur elle-même, mais finit toujours par se retrouver. L’auteur ne perd jamais complètement de vue le problème particulier qu’il s’est posé. Il faut ajouter à cela une assez grande abondance de faits et une certaine variété d’informations. Néanmoins on peut reprocher à M. de Greef de faire imparfaitement connaître la littérature de son sujet. Ainsi on ne trouve pas un mot sur Schaeffle qui pourtant a pris, lui aussi, soin de distinguer les sociétés des organismes et de la même manière à peu près que fait M. de Greef. Enfin la théorie du contrat social, telle qu’elle est exposée dans le livre, rappelle singulièrement la théorie de l’organisme contractuel de Fouillée. Or le nom de Fouillée n’est pas, croyons-nous, prononcé une seule fois. Pour ce qui est de la manière dont le problème est traité, on trouvera en général dans la discussion des théories combattues par l’auteur une grande justesse dialectique. Mais la partie positive de sa thèse nous semble être beaucoup plus faible.

Et en effet, nous ne voyons pas pourquoi la distinction qu’il établit entre la sociologie et les autres sciences constituerait une différenciation vraiment qualitative. Qui empêche d’admettre et même tout n’induit-il pas à supposer que les cellules ont, elles aussi, une conscience à leur manière ? Le cerveau ne crée pas la vie psychique, mais la concentre. Suivant un mot célèbre, ce n’est pas lui qui pense, mais le corps tout entier. On dira que cette conscience est bien obscure et bien rudimentaire ; qu’elle n’est qu’une partie infime de la conscience collective de l’être vivant. Mais la conscience de l’individu est, elle aussi, une très modeste fraction de la conscience sociale, et l’analogie se soutient par cela même. Que saisissons-nous de la vie sociale à laquelle nous participons ? Bien peu de chose, et à mesure que les sociétés deviennent plus