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complexes, une part plus grande nous en échappe. L’argument sera-t-il meilleur si au mot d’intelligence nous substituons celui de consentement mutuel et de contrat ? Nullement ; car si on met toute métaphysique de côté, un contrat n’est rien autre chose qu’une adaptation spontanée de deux ou plusieurs individus les uns aux autres, dans des conditions déterminées par le milieu social et physique où ils se trouvent placés. Or il n’y a rien là de bien nouveau. La spontanéité y est très réfléchie au lieu d’être obscurément consciente, voilà tout. Enfin l’auteur lui-même reconnaît que sa théorie du contrat social ne se trouve réalisée que dans les sociétés les plus élevées, si bien qu’il refuse le titre de sociétés aux agrégats sociaux d’ordre inférieur. Un pareil aveu condamne la définition proposée qui se trouve ne plus convenir toti definito. Il ne s’agit pas de définir les sociétés idéales, mais les sociétés en général. Si on dit en biologie que la substance vivante a pour attributs distinctifs la double propriété de se nourrir et de se reproduire, c’est que ces propriétés se retrouvent également à tous les degrés de l’échelle animale. Que dirait-on d’un biologiste qui définirait la vie par sa qualité la plus élevée, l’intelligence ?

Au reste, nous ne songeons pas à nier que la biologie et la sociologie soient indépendantes l’une de l’autre, ni qu’il y ait lieu de chercher la caractéristique essentielle des faits sociaux. Mais nous ne croyons pas que la science soit encore en état de résoudre ce problème. Ce qu’il faut d’abord, c’est étudier les faits en eux-mêmes ; en déterminer les lois et les propriétés spéciales. C’est seulement quand nous les connaîtrons mieux que nous pourrons nous mettre à la recherche de leur qualité fondamentale et distinctive. Ajoutons d’ailleurs qu’on peut accorder à la sociologie le droit d’exister, avant d’avoir résolu ce problème transcendant. Pour qué deux sciences soient indépendantes il n’est pas nécessaire que les phénomènes étudiés par elles soient substantiellement distincts ; il suffit qu’ils soient assez différents pour ne pouvoir être étudiés au moyen des mêmes procédés. Or il est clair que la méthode qui peut servir à étudier les faits physiques ou psychiques qui se passent chez un individu, ne nous permet pas d’atteindre ceux qui résultent de l’action de ces individus les uns sur les autres. Le droit, les mœurs, les faits économiques ne peuvent être observés de la même manière que l’association des idées ou que la digestion.

Quant à la classification des faits sociaux, qui nous est proposée, elle pèche par excès de simplisme. Là encore il nous semble que M. de Greef s’est posé une question prématurée. Ce n’est ni d’après un principe abstrait, ni d’après quelques documents heureusement choisis qu’on peut déterminer les rapports d’interdépendance qui unissent des phénomènes aussi complexes, mais à la suite d’observations minutieuses et accumulées. Aussi rien n’est plus contestable que la place prépondérante accordée par l’auteur aux faits économiques. Il n’est pas exact de dire que l’objet essentiel de la vie sociale soit « la recherche en commun de la subsistance » (p. 172). Les phénomènes de sympathie