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nous explique pas le phénomène de la conscience ; de l’autre côté, sans entreprendre une explication de la puissance universelle de l’esprit religieux qu’il rejette comme une erreur, il n’essaye même pas d’expliquer le culte et l’art ; un sourire méprisant, voilà ce qui lui reste pour tout enthousiasme, comme si ce n’étaient pas là des réalités empiriques de la plus haute signification et réclamant une investigation scientifique.

Il est hors de doute que le mécanisme du cerveau et sa régénération par la nourriture sont les conditions essentielles du phénomène de l’âme ; le contenu de la conscience est d’autant plus grand et la présence du cerveau d’autant plus indispensable que nous remontons plus haut dans le règne animal. C’est ce que Munck a démontré expérimentalement. Après avoir enlevé à des poissons, à des amphibies, à des oiseaux et à des mammifères les hémisphères du cerveau, il a constaté : 1o que les poissons et les amphibies continuent parfaitement leur mode de reproduction et de digestion, qu’ils accomplissent des mouvements volontaires appropriés au but et que leur sensibilité est restée visiblement la même ; 2o que les oiseaux, tout en gardant la sensibilité, deviennent incapables de faire des mouvements qui répondent à un but ; 3o que les mammifères perdent en outre la sensibilité.

On peut donc dire que le débat sur l’âme forme le point culminant des questions qui intéressent l’humanité.

La théorie de la descendance explique tout comme quelque chose de devenu ; l’esprit par conséquent, pris dans son sens le plus étendu et pour autant qu’il est phénomène, est aussi un devenu ; et elle doit pouvoir expliquer son devenir et sa croissance, elle doit nous renseigner sur les racines de la sensibilité, de la raison, sur la source et le développement de l’organisme psychique, sur la valeur et la signification de l’idéalisme. L’intelligence, nous ne l’admettons que là où se révèle anatomiquement un appareil nerveux ; nous donnons le nom d’actions instinctives à celles qui s’accomplissent immédiatement et sans le concours nécessaire de la conscience pour la conservation de l’individu et de l’espèce. La conscience n’est pas, comme on a voulu le dire, un développement de l’instinct, car l’instinct est une fonction de l’organisme. Chez les animaux inférieurs, la conscience apparaît le plus sûrement quand les conditions de nourriture deviennent subitement défavorables. Si, par une cause quelconque, un être habitant le fond de la mer est jeté à la lumière du soleil et qu’il soit obligé de prendre une nourriture de plus en plus sporadique, ses mouvements deviendront de plus en plus complets et les centres sensibles de la peau auront de plus en plus le caractère d’organes sensibles, si cet être est destiné à propager sa race. Ontogénétiquement parlant, l’enfant suit la même marche dans ses diverses phases de développement : au début, il n’a que la sensation de la lumière ; puis il commence à distinguer la forme au moyen d’excitations inaccoutumées et d’une attention éveillée ; en un mot, le perfectionnement des organes de la sensibilité marche de pair avec le développement du cerveau.