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ANALYSES.f. kœgel. Lotzes Æsthetik.

Au-dessus de la sensation se placent des formes dont la beauté vient de l’unité dans la multiplicité. Cette multiplicité et cette unité sont réalisées dans le temps et dans l’espace ; mais, au fond, ce que l’esprit envisage dans ces formes et qui cause la jouissance esthétique, c’est l’unité et le déploiement d’une force. À cause de cela il devrait exister, en vers, au lieu d’une métrique fondée sur la quantité, un rythme fondé sur l’accent. À cause de cela encore, dans les figures dont la proportion fait la beauté, le mouvement d’où sont sorties les lignes reste, même la figure tracée, l’élément essentiel que tous considèrent. Ainsi, le charme du sentiment esthétique ne vient pas de la forme de l’objet en elle-même, mais de la force agissante, de la pensée, et en définitive du bien que cette forme révèle.

La beauté des formes des êtres vivants s’explique facilement par les mêmes principes. Il faut seulement remarquer que Lotze, contrairement à Kant, place la beauté adhérente au-dessus de la beauté libre, parce que dans la beauté adhérente on saisit plus directement, en même temps que la forme, la pensée à laquelle la forme obéit.

Il va de soi que la beauté la plus haute est pour Lotz e la beauté morale. Mais il n’y a pas à insister ici, car Lotze se trouvant dans le domaine exploré en tous sens, depuis Kant, par l’idéalisme, se contente de rapporter les opinions les plus importantes de ses devanciers en y joignant des remarques critiques. On doit prendre note, chemin faisant, d’une théorie originale du ridicule : un agent doué de volonté prétend-il dominer la nature, il peut arriver que celle-ci lui joue des tours : alors naît chez le spectateur le sentiment du ridicule.

L’examen détaillé de toutes les formes du beau donne à Lotze cette conviction, que la tendance sentimentale dans l’art, condamnée par Schiller comme opposée à la naïveté primitive, est au contraire une heureuse disposition des modernes. Les Grecs arrivaient à la perfection des formes plastiques, mais ils n’exprimaient pas les sentiments que ces formes doivent évoquer.

Quant à la conception d’un idéal esthétique qui s’élève au-dessus des formes connues de la beauté, Lotze croit qu’elle dépend en dernière analyse des aspirations générales de l’humanité et de l’état de la civilisation à chaque époque. Il distingue l’idéal antique, l’idéal romantique et l’idéal moderne. Le trait caractéristique de la conception moderne est la conscience du mécanisme universel de la nature, considéré, ou non, comme la réalité dernière. Aussi relions-nous chaque objet à l’ensemble dont il fait partie. Un élément mathématique de précision se mêle au formalisme esthétique contemporain. Chaque beauté doit exprimer l’harmonie de toutes les formes.

III. L’art. — L’art imite la pensée créatrice. Ainsi qu’elle, il traduit le bien, le saint, dans les belles formes. Il serait inutile si notre vue était assez puissante pour nous permettre de saisir toute la signification des faits. Mais notre vue est courte : c’est pourquoi l’art intervient, afin de nous faire comprendre ce que nous n’aurions pas compris. Il doit être