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réaliste, car sa tâche est de scruter le monde dans lequel nous vivons ; mais il doit aussi idéaliser la nature, car celle-ci ne peut pas toujours être ce qu’elle voudrait être, à cause des conditions défavorables qu’elle rencontre.

La source de la production artistique est l’imagination, Mais l’imagination n’est pas pour Lotze une faculté spéciale, un pouvoir inné de l’âme elle a pour éléments la perception et la mémoire. Il ne faut pas non plus voir dans l’imagination simplement la faculté de former des images : elle est aussi la faculté de juger de leur valeur. Le tempérament esthétique par excellence est aux yeux de Lotze celui de la femme ; mais la femme ne peut pas produire des œuvres d’art, parce que le côté technique de l’art ne lui offre aucun intérêt.

Lotze borne le nombre des arts aux cinq anciennement connus. C’est qu’il considère l’art comme étant essentiellement un moyen d’élévation morale. La danse, la toilette, etc., ne peuvent lui paraître des arts véritables, bien qu’elles soient subordonnées aux règles de l’esthétique. Il n’attribue du reste nulle importance aux classifications des arts, et il estime qu’il suffit à l’esthétique, au lieu de se perdre dans les derniers détails, de déterminer les principes universels qui font la beauté des manifestations particulières.

Pour conclure sur l’esthétique de Lotze, aujourd’hui l’opposition n’est plus entre les formalistes et les idéalistes, mais entre l’esthétique logique ancienne et l’esthétique psychologique moderne. Les partisans de la première sont les hégéliens ; la seconde revient au principe de Kant, et progresse en se conformant à la psychologie de Herbart : Lotze est un précurseur de cette dernière esthétique ; il a notamment inspiré Fechner en tâchant de déterminer quelques-unes des conditions psychologiques auxquelles doit satisfaire toute œuvre d’art. Toutefois, en principe, sa conception générale, qui appuie l’esthétique sur une vue philosophique du monde, le sépare de cette esthétique purement psychologique.

F. C.

Adrien Desprez. — La femme, esclave, courtisane et reine. — Paris, Dentu, 1885. ii-364 p. in-12.

Ce livre est de la main d’un littérateur délicat, et la critique spéciale du philosophe ne s’y peut appliquer exactement. Mais le philosophe est aussi un curieux, qui ne néglige pas de puiser au livre d’un curieux comme M. Desprez sait l’être. S’il n’y doit pas chercher de lumières directes sur la physiologie de la femme, ni certaines notions générales dont se fût préoccupé un esprit autrement orienté, il aurait grand tort de n’y pas reconnaître une manière d’enseignement historique assez précieux à la connaissance du caractère féminin, et notre ingénieux auteur a su promener ses filets, pour en retirer les faits les plus instructifs, dans le bavardage amusant et léger de l’anecdote.