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doit avoir une place en économie politique, ce n’est pas parce qu’elle satisfait certaines tendances individuelles, quelque légitimes qu’elles soient ; c’est parce qu’elle est la condition même de la vie sociale. En effet, une société dont les membres ne seraient pas rattachés les uns aux autres par quelque lien solide et durable ressemblerait à un monceau de poussière désagrégée que le moindre vent aurait tôt fait de disperser aux quatre coins de l’horizon.

Nous arrivons donc à la même conclusion que M. Coste, mais c’est pour de tout autres raisons ; et la différence théorique qui nous sépare de lui en entraîne d’autres, d’ordre pratique. En effet, si la solidarité n’a d’avantages que pour l’individu, il est tout naturel que, comme le fait M. Coste, on refuse à l’État le droit de s’en occuper. L’État s’acquitterait mal d’une tâche qui ne l’intéresserait pas. Mais, si la solidarité est avant tout une des conditions d’existence de la société, alors la situation est intervertie. C’est l’individu qui est incompétent ; car, ne connaissant du monde que le petit coin où il s’agite, il est mal placé pour juger des intérêts de la communauté. C’est à l’État que revient ce soin ; et voilà pourquoi nous disions en commençant que l’économie politique ne peut se passer d’une science de l’État. Il est vrai que les économistes échappent à cette conséquence en niant les prémisses et en réduisant la société à n’être qu’une simple juxtaposition d’individus. Mais c’est là précisément la grande erreur économique. Qu’on le veuille ou non, qu’elles soient un bien ou un mal, les sociétés existent. C’est au sein de sociétés constituées que se manifeste l’activité économique. La logique ne peut rien contre un fait qui complique, il est vrai, les données du problème, mais dont il n’est pas possible de faire abstraction[1].

Si l’on veut voir ce que deviennent les questions économiques, quand on les examine du point de vue de la société plutôt que du point de vue de l’individu, on n’a qu’à lire la brochure de Schaeffle sur la Quintessence du socialisme. Ce petit livre, dont on connaît l’immense succès en Allemagne, a été l’objet en France d’interprétations très inexactes sur lesquelles il est bon de s’expliquer.

  1. Le livre de M. Coste se termine par quelques études de MM. Arréat et Burdeau sur l’instruction publique, qui malheureusement ne peuvent trouver place dans le cadre de notre Revue. Mais il importe d’en dire un mot. Malgré quelques divergences de détail, les vues communes des deux écrivains peuvent être résumées ainsi : À la base de toute éducation un enseignement général qui mènerait l’enfant jusqu’à treize ans. À ce moment, un système de bifurcation qui diviserait les enfants en deux grands courants, l’un qui aboutirait vers la quinzième année fournirait à la société les ouvriers, les contre-maîtres et commis de toute sorte ; l’autre continuant jusque vers la dix-septième ou dix-huitième année, et se partageant alors en trois ou quatre branches pour jeter dans les facultés, dans les écoles de l’État une élite de jeunes gens munis d’une culture générale complète. À l’intérieur des lycées, suppression du grec et du latin. Les sciences, l’histoire et la philosophie seraient la base de l’enseignement. — Notons en passant une bien juste remarque de M. Burdeau, c’est que le vrai moyen de convertir les jeunes gens à la philosophie est d’en rattacher les problèmes même abstraits aux questions morales et sociales.