Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
REVUE GÉNÉRALE.durkheim. Les études de science sociale

C’est M. Benoît Malon qui l’a introduit chez nous[1]. M. Malon crut reconnaître en M. Schaeffle, malgré quelques dissidences de détail, un collectiviste très suffisamment orthodoxe et le présenta comme tel au public français. Là-dessus M. Paul Leroy-Beaulieu, dans sa Critique du Collectivisme, ne put faire autrement que de ménager une place à Schaeffle dont il réfuta amplement le prétendu socialisme. Comment se fit-il que personne ne protesta, nous n’en savons rien. Toujours est-il que dans le courant de l’année dernière M. Schaeffle publia une nouvelle brochure dans laquelle il repoussait loin de lui l’accusation de collectivisme[2]. Cet ouvrage jeta économistes et socialistes dans un véritable désarroi. Un rédacteur du Journal des Économistes, dans un article d’une extrême violence, reprocha vigoureusement à Schaeffle la méprise dont celui-ci avait été la victime. M. Schaeffle n’était pourtant pas coupable. En supposant que son opuscule ne fût pas clair par lui-même — ce qui n’est pas — on aurait évité un aussi étrange malentendu si, avant de le louer ou de le critiquer, on avait pris le soin de lire l’un ou l’autre de ses principaux ouvrages. On ne juge pas sur une brochure de soixante pages un homme dont l’œuvre est aussi considérable.

La question qui est posée dans la Quintessence pourrait se formuler ainsi : Jusqu’ici la vie économique n’a été qu’un ensemble de réflexes ; que deviendrait-elle, si on la rattachait aux centres conscients de l’organisme social ? C’est donc une étude objective de l’idée socialiste. L’auteur se propose d’en constater le contenu, den Inhalt des Socialismus zu constatiren ; d’en faire voir les avantages et les desiderata ; de débarrasser le terrain des arguments mauvais et surannés que l’on échange de part et d’autre depuis si longtemps, mais cela sans se prononcer sur le fond du débat. Aussi signale-t-il à plusieurs reprises[3] dans la doctrine socialiste des lacunes dont il ne cherche pas le moins du monde à diminuer l’importance. Il a indiqué, il est vrai, dans le troisième volume de son Bau und Leben des socialem Koerpers, comment ces lacunes pourraient être comblées. Mais il n’est pas pour cela collectiviste. Il a trop le sentiment de la réalité et de la complexité des choses pour attribuer plus qu’une valeur logique à une simple construction de l’esprit. Sans doute il inclinerait assez volontiers à croire qu’on pourrait débarrasser la conception socialiste de toute contradiction interne, à condition toutefois de renoncer aux principes fondamentaux de la théorie de Marx. Est-ce à dire que le socialisme ainsi renouvelé pourra jamais passer dans les faits ? Question insoluble que la raison est à jamais impuissante à résoudre. Seule l’expérience peut la tran-

  1. M. Malon donna de l’opuscule une traduction, assez imparfaite d’ailleurs, c’est ainsi qu’on y voit Zuchtwahl traduit par assimilation.
  2. Die Aussichtslosigkeit der Socialdemocratie. M. Leroy-Beaulieu s’est demandé si la publication de cette dernière brochure n’avait pas été déterminée par son livre sur le Collectivisme. (V. préface de la 2e édition.) Nous sommes en mesure d’affirmer qu’il n’en est rien.
  3. Pages 31 et 49 en particulier.