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ANALYSES.w. wundt. Essays.

séparent qu’on appelle et que M. Cochin appelle les positivistes anglais. Au surplus, la psychologie que M. Cochin juge irréductible à la physiologie n’est point pour lui une chose bien nette. Il dit quelque part : « La science se contente d’observer des faits matériels et de déterminer les conditions des phénomènes » (p. 67), et deux pages avant nous trouvons le passage suivant qui paraîtra étrange à n’importe quel psychologue. Il s’agit de la pensée de la science. M. Cochin observe non sans raison d’ailleurs que « la certitude des notions acquises décroît à mesure que l’intérêt des problèmes augmente. » Ainsi, « la certitude des mathématiques est absolue ». « Si, montant plus haut, je veux étudier les corps vivants, il me faut convenir que le résultat de mes travaux est encore moins précis. Les phénomènes deviennent très complexes et leurs conditions déterminantes souvent très obscures… » Enfin, si je veux m’élever plus haut encore, m’apercevant que j’ai une âme, éclairée par quelque lueur mystérieuse et tourmentée par beaucoup de passions, j’encours aussitôt les anathèmes de M. Comte, car je veux forcer la porte du monde supérieur dont il me croit exclu et pénétrer l’incognoscible. L’observation scientifique proprement dite, la méthode expérimentale, ne m’apprendraient rien de moi-même. Leur puissance a diminué à mesure que ma curiosité croissait, et elles me taisent ce que je tiendrais le plus à connaître. » Ainsi toute la psychologie scientifique de notre temps est peu connue par M. Cochin, et les observateurs travaillent en vain. Voilà qui est bien rigoureux.

Je pourrais relever ça et là un certain nombre d’autres détails dont la critique serait fondée, à mon avis. La théorie générale de M. Cochin sur la triple création de la matière, de la vie et de l’âme me paraît également inacceptable. Je ne voudrais pas qu’on conclût de mes critiques que l’auteur a fait un livre insignifiant ; loin de là, je lui crois une importance philosophique sérieuse en ce qui concerne le point spécial de l’irréductibilité de la vie aux forces physico-chimiques, et j’ajouterai qu’il y a autant d’agrément que de profit à le lire. Il faut également reconnaître que M. Cochin ne fait pas usage d’autres arguments que ceux qu’il tire des sciences positives et des expériences des savants : il ne fait intervenir ni Dieu, ni la métaphysique, et s’il repousse des théories qui sont actuellement en faveur, il n’y fait paraître aucune étroitesse d’esprit. Ainsi, sans se prononcer catégoriquement pour le darwinisme et l’évolution appliquée au règne de la vie, il est loin d’être opposé à cette théorie. Tout cela n’est pas peu de chose.

Fr. Paulhan.

W. Wundt. Essays. — Leipzig, W. Engelmann. 1885, IV-386 p., in-8o.

Des quatorze essais compris en ce volume, six sont déjà connus de nos lecteurs[1]. Je parlerai seulement des huit autres, qui portent les

  1. En voici les titres, avec le numéro d’ordre : IV. Cerveau et âme. — V. Les