Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
revue philosophique

gouvernements, les magistrats, les citoyens résolvent toutes les questions dont ils ne peuvent pas ou dont ils ne croient pas pouvoir demander la solution à un texte de droit positif. Le droit des gens ne possède pas les mêmes garanties que le droit naturel, dans une société constituée, puisque les déterminations mêmes qu’il reçoit des traités manquent d’une sanction régulière et assurée ; mais, considéré en lui-même, il n’est que le droit naturel appliqué aux relations internationales, et les règles qui lui sont propres ne sont qu’une extension des règles que nous avons posées pour les relations des individus, soit entre eux, soit avec la société dont ils font partie.

I

La première question de droit des gens a pour objet les caractères mêmes qui constituent pour les autres États la personnalité propre d’un État. On distinguait autrefois et on affecte encore de distinguer entre l’existence de fait d’un État et son existence de droit. La première ne consiste que dans le fait de former, sur un territoire donné, une même société régie par les mêmes lois et soumise aux mêmes chefs. La seconde exige, en outre, une certaine légitimité politique fondée sur le respect d’un certain principe de souveraineté. Ainsi, la Russie affectait de m’attribuer à la royauté française de 1830, issue d’une révolution, qu’une existence de fait. La distinction, ainsi entendue, est, au fond, de pur sentiment. Elle n’est pas sans importance pour la forme des relations entre les États ; mais, malgré le nom de droit dont elle se couvre, c’est précisément dans les questions de droit qu’il lui est accordé le moins de valeur. Toutes ces questions se résolvent entre les États de la même façon, quelle que soit leur opinion sur leur légitimité respective.

Certains États, en dehors de toute question de principe, n’admettent l’existence de droit d’un État qu’après qu’ils l’ont formellement reconnu. La distinction relève encore, non de l’ordre du droit, mais de l’ordre de la morale. Elle vaut pour la cordialité des relations ; elle ne changerait rien à la solution d’une question de droit. Un État non reconnu est dans la même situation qu’un État avec lequel on a rompu les relations diplomatiques et dans une situation analogue à celle d’un particulier qu’un autre particulier refuse de saluer. Moralement, ils ne se connaissent pas ; mais s’ils avaient, l’un à l’égard de l’autre, un droit à revendiquer, ils seraient forcés d’agir directement ou par intermédiaire, comme s’ils se connaissaient.