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visuelle et la notion tactile d’une figure géométrique. Cet assentiment très général qu’a rencontré la thèse de Locke et de Molyneux nous donne bon espoir pour la nôtre qui n’en diffère pas, et nous encourage plus que tout le reste à la présenter aux lecteurs de la Revue Philosophique.

II

On sait que l’objet de la théorie communément appelée empiristique est d’établir la genèse de notre idée de l’espace, et l’on sait aussi que tous les philosophes et les physiologistes qui ont adopté cette théorie se sont trouvés d’accord pour soutenir que l’idée de l’espace ne nous vient, directement au moins, ni de la vue ni du toucher, mais du sens musculaire, ou, pour parler avec plus de précision, du sentiment musculaire auquel donnent lieu dans chaque homme les mouvements de son corps. Il est clair, d’après cela, que la théorie empiristique est en opposition absolue avec notre thèse des deux formes irréductibles de l’espace, puisqu’évidemment, si l’idée d’espace est donnée par le sens musculaire, elle doit se retrouver identiquement la même chez les voyants et chez les aveugles. L’examen de cette théorie rentre donc pleinement dans le cadre de notre sujet ; et, si nous parvenons à montrer qu’elle ne rend pas compte d’une manière satisfaisante de l’origine de l’idée d’espace, nous aurons par là même réfuté d’une manière décisive l’objection la plus considérable qui puisse nous être opposée, celle à laquelle donne lieu l’intervention, réelle d’ailleurs à notre avis, du sens musculaire dans la constitution de notre représentation de l’étendue. Peut-être même aurons-nous la bonne fortune de rencontrer chemin faisant des arguments nouveaux qui fortifieront notre démonstration de la pluralité des formes de l’espace.

Rappelons d’abord en quelques mots comment Stuart Mill et M. Bain expliquent la formation de l’idée de l’étendue[1]. Voici du

  1. C’est surtout chez les philosophes anglais de l’école associatoniste que nous irons chercher, pour l’exposer et la discuter, la théorie empiristique de l’origine de l’idée d’espace. La raison en est que seuls ces philosophes ont exposé la théorie en question dans ses principes psychologiques. En Allemagne, c’est plutôt au point de vue physiologique que l’on s’est placé. Helmholtz, par exemple, adopte sans discussion les bases de la théorie de Bain, sauf le changement de quelques termes, puis il s’efforce de rendre compte, d’après cette hypothèse, de certaines particularités de la vision, comme la vision droite malgré le renversement des images sur les deux rétines, etc. Du moment que ce sont les principes mêmes de la théorie que nous avons à examiner, c’est donc à MM. Bain, Stuart Mill et Spencer seuls que nous avons affaire.