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surface colorée, une perception naturelle de l’œil. L’idée de la distance est donc une idée associée à la perception propre de l’œil. »

Il serait inutile de nous arrêter à cette objection, parce que nous avons reconnu plus haut qu’il ne suffit pas d’ouvrir l’œil une première fois pour pouvoir dire de suite à quelle distance est un objet. Nous avons à cet égard distingué soigneusement entre la sensation, qui est la projection effective de l’image visuelle dans l’espace, et la perception, qui est un fait ultérieur consistant dans la détermination plus ou moins exacte de la distance à laquelle l’image apparaît. Nous accorderions donc à M. Rabier que « l’idée de la distance est une idée associée, non pas précisément, comme il le dit, à la perception, mais à la sensation propre de l’œil » ; et nous ajouterions même que c’est cette idée associée qui transforme la sensation en perception. La question resterait de savoir si cette idée de la distance est une idée tactile ou une idée visuelle. Mais c’est là un point qui a été examiné déjà, et qui n’a plus qu’un rapport fort indirect avec la difficulté que nous opposait M. Rabier.

À toutes ces raisons en faveur de la perception immédiate de l’espace sous ses trois dimensions par le sens de la vue, qu’il nous soit permis d’ajouter les aveux d’un adversaire. M. Herbert Spencer qui, comme M. Bain, n’admet qu’un seul espace, lequel il suppose nous être révélé par le sens musculaire, prend pourtant la peine, dans ses Principes de Psychologie, de nous expliquer comment les images peintes sur notre rétine peuvent suggérer en nous l’idée d’une ligne, puis celle d’une surface, et comment enfin de l’état de conscience produit par l’ajustement focal des yeux….. résulte une conscience indistincte d’un volume entier de positions coexistantes, ou d’espace à trois dimensions. » Il est vrai que M. Spencer considère les sensations oculaires dont il décrit le jeu, comme nous présentant un espace identique en soi à celui que nous révèlent les sensations musculaires, en quoi il se montre moins logique que M. Bain, qui ne veut pas que l’exercice de l’œil puisse nous révéler à l’avance un espace qui est du domaine des seules sensations musculaires ; mais peu importe. Nous n’avons pas à rechercher ici qui a raison de M. Spencer, qui croit qu’un seul et même espace peut nous être révélé à la fois par la vue et par le sens musculaire, ou de M. Bain qui fait de cet espace l’objet du sens musculaire seul : ce que nous voulons retenir, c’est uniquement que, dans l’opinion de M. Spencer, les sensations oculaires peuvent se constituer et s’organiser de façon à nous donner la perception de l’étendue, et cela directement et par elles-mêmes, puisque dans la description que nous donne l’auteur du