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TH. RIBOT.les états morbides de l’attention

divin fiancé », mais sans possession durable. « Les fleurs n’ont fait qu’entr’ouvrir leurs calices, elles n’ont répandu que leurs premiers parfums. » La fixité de la conscience n’est pas complète, elle a des oscillations et des fuites ; elle ne peut encore se maintenir dans cet état extraordinaire et contre nature.

Enfin, elle atteint l’extase dans la sixième demeure par « l’oraison de ravissement ». « Le corps devient froid, la parole et la respiration sont suspendues, les yeux se ferment, le plus léger mouvement causerait les plus grands efforts. Les sens et les facultés restent en dehors….. Quoique d’ordinaire on ne perde pas le sentiment [la conscience], il m’est arrivé d’en être entièrement privée : ceci a été rare et a duré fort peu de temps. Le plus souvent, le sentiment se conserve, mais on éprouve je ne sais quel trouble, et, bien qu’on ne puisse agir à l’extérieur, on ne laisse pas que d’entendre. C’est comme un son confus qui viendrait de loin. Toutefois même cette manière d’entendre cesse lorsque le ravissement est à son plus haut degré. »

Qu’est-ce donc que la septième et dernière demeure qu’on atteint par le « vol de l’esprit » ? Qu’y a-t-il au delà de l’extase ? L’unification avec Dieu. Elle se fait « d’une manière soudaine et violente… avec une telle force qu’on tenterait en vain de résister à cet élan impétueux. » Alors Dieu est descendu dans la substance de l’âme qui ne fait qu’un avec lui. — Ce n’est pas, à mon avis, une vaine distinction que celle de ces deux degrés d’extase. À son plus haut degré, l’abolition même de la conscience est atteinte par son excès d’unité. Cette interprétation paraît légitime, si l’on se rapporte aux deux passages que j’ai soulignés plus haut : « Il m’est arrivé d’être entièrement privée du sentiment. » « Cette manière d’entendre cesse quand le ravissement est à son plus haut degré. » On en pourrait citer d’autres empruntés au même auteur. Il est remarquable que dans l’un de ses grands ravissements », la Divinité lui apparaît sans forme, comme une abstraction parfaitement vide. Voici du moins comment elle s’exprime : « Je dirai donc que la Divinité est comme un diamant d’une transparence souverainement limpide et beaucoup plus grand que le monde » (Autobiographie, p. 526). Il m’est impossible de ne voir là qu’une simple comparaison et une métaphore littéraire. C’est l’expression de la parfaite unité dans l’intuition.

Ce document psychologique nous a permis de suivre la conscience peu à peu jusqu’à son dernier degré de concentration, jusqu’au monoidéisme absolu ; il nous permet de plus de répondre à une question souvent agitée et qui n’a été tranchée que théoriquement : Un état de conscience uniforme peut-il subsister ? Il semble que le té-