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cissement incessant du champ de la conscience, décrit d’après une expérience personnelle.

Il y a, dit-elle, un château bâti d’un seul diamant d’une beauté et d’une pureté incomparables ; y entrer, l’habiter, c’est le but du mystique. Ce château est intérieur, dans notre âme ; il n’y a pas à sortir de nous pour y pénétrer ; mais la route est longue et difficile. Pour l’atteindre, il y a sept demeures à parcourir ; on la franchit par sept degrés d’ « oraison ». Au stade préparatoire, on est encore plongé dans la multiplicité des impressions et des images, dans la vie du monde ». Traduisons : la conscience suit son cours ordinaire, normal.

La première demeure est atteinte par l’oraison vocale ». J’interprète : la prière à haute voix, la parole articulée, produit un premier degré de concentration, ramène dans une voie unique la conscience dispersée.

La seconde demeure est celle de l’ « oraison mentale », c’est-à-dire que l’intériorité de la pensée augmente ; le langage intérieur se substitue au langage extérieur. Le travail de concentration devient plus facile ; la conscience n’a plus besoin de l’appui matériel des mots articulés ou entendus, pour ne pas dévier ; il lui suffit d’images vagues de signes se déroulant en série.

L’oraison de recueillement » marque le troisième degré. Ici, je l’avoue l’interprétation m’embarrasse. Je ne peux guère y voir qu’une forme supérieure du deuxième moment, séparée par une nuance subtile et appréciable à la seule conscience du mystique.

Jusqu’ici, il y a eu activité, mouvement, effort ; toutes nos facultés sont encore en jeu : maintenant, il faut « non plus penser beaucoup, mais aimer beaucoup. » En d’autres termes, la conscience va passer de la forme discursive à la forme intuitive, de la pluralité à l’unité ; elle tend à être, non plus un rayonnement autour d’un point fixe, mais un seul état d’une intensité énorme. Et ce passage n’est pas l’effet d’une volonté capricieuse, arbitraire, ni du seul mouvement de la pensée livrée à elle-même ; il lui faut l’entrainement d’un puissant amour, le « coup de la grâce, » c’est-à-dire la conspiration inconsciente de l’être tout entier.

L’ « oraison de quiétude » introduit dans la quatrième demeure, et alors « l’âme ne produit plus, elle reçoit » : c’est un état de haute contemplation que les mystiques religieux n’ont pas connu seuls. C’est la vérité apparaissant brusquement d’un bloc, s’imposant comme telle, sans les procédés lents et longs d’une démonstration logique.

La cinquième demeure ou « oraison d’union » est le commencement de l’extase ; mais elle est instable. C’est « l’entrevue avec le