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TH. RIBOT.les états morbides de l’attention

sentiments se succèdent avec une telle rapidité qu’elles atteignent à peine le degré de la conscience complète et que souvent pour le spectateur, le lien d’association qui les relie échappe totalement. « C’est, disait l’un d’eux, une chose vraiment effroyable que la vitesse extrême avec laquelle les pensées se succèdent dans l’esprit. » Ainsi, en résumé, dans l’ordre mental, une course désordonnée d’images et d’idées ; dans l’ordre moteur, un flux de paroles, de cris, de gestes, de mouvements impétueux.

Il n’est pas nécessaire de s’attarder à faire voir que toutes les conditions contraires à l’état d’attention se trouvent réunies dans la manie. Il n’y a concentration ni adaptation possibles, ni durée. C’est le triomphe de l’automatisme cérébral, livré à lui-même et libre de tout frein. Aussi chez les maniaques, il y a parfois une exaltation extrême de la mémoire ; ils peuvent réciter de longs poèmes, depuis longtemps oubliés.

Dans ce chaos intellectuel, aucun état ne réussit à durer. « Mais qu’on vienne à agir puissamment sur l’esprit d’un maniaque ; qu’un événement imprévu arrête son attention, et tout à coup le voilà raisonnable et la raison se soutient aussi longtemps que l’impression conserve assez de puissance pour fixer son attention[1]. » Voilà encore un exemple qui nous montre de quelles causes dépend l’attention spontanée.

Nous comprendrons sous le nom général d’épuisement un groupe d’états assez nombreux où l’attention ne peut dépasser un degré très faible. Ce n’est pas qu’elle ait à lutter, comme dans la manie, contre un automatisme excessif ; sa faiblesse vient d’elle-même : on en trouve des exemples chez les hystériques, chez certains mélancoliques, au commencement de l’ivresse, à l’approche du sommeil, dans l’extrême fatigue, physique ou mentale. Les enfants, atteints de la chorée, sont aussi peu capables d’attention.

Ces états morbides ou semi-morbides confirment la thèse que nous avons soutenue précédemment (en étudiant l’état normal), c’est que le mécanisme de l’attention est essentiellement moteur. Dans l’épuisement, il y a impossibilité ou difficulté extrême de fixer l’attention. Cela signifie, je le répète : Un état intellectuel ne peut prédominer, ni durer, ni produire une adaptation suffisante. Cet épuisement cérébral qui résulte d’un vice quelconque de nutrition, se traduit de deux manières d’abord par un état de conscience sans intensité et sans durée ; ensuite par une insuffisance d’influx nerveux moteur. Si les mouvements qui, comme on dit, « accompagnent » l’atten-

  1. Esquirol. Maladies mentales, t.  II, p. 47.