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tion, mouvements de la respiration, de la circulation, de la tête, des membres, etc., sont sans vigueur ; si tous ces phénomènes moteurs sont, ainsi que nous le soutenons, non des concomitants, mais des éléments, des parties intégrantes de l’attention qui donnent à l’état intellectuel une délimitation, un soutien et pour ainsi dire un corps ; s’ils ont pour effet, à l’état normal, de renforcer la sensation, l’image ou l’idée par une action en retour ; il est clair que ces conditions sont ici absentes ou défaillantes et qu’il ne peut se produire que des essais d’attention, faibles ou sans durée : ce qui arrive.

Prenons le cas de l’ivresse, le plus simple, le plus vulgaire de tons et qui a cet avantage que la dissolution des mouvements peut être suivie jusqu’au bout. C’est une loi biologique bien connue que la dissolution suit l’ordre inverse de l’évolution, que son travail destructeur marche du complexe au simple, du moins automatique au plus automatique. Elle se vérifie dans l’ivresse. D’abord s’altèrent les mouvements les plus délicats, ceux de la parole qui s’embarrasse, des doigts qui perdent leur précision ; plus tard, les mouvements semi-automatiques qui composent la marche, le corps titube ; plus tard encore, l’ivrogne n’est pas même capable de se tenir assis, il tombe à terre ; enfin, perte des réflexes, il est ivre mort ; à l’extrême, perte des mouvements respiratoires. Laissons les dernières phases de la dissolution des mouvements qui sont purement physiologiques ; revenons au début et voyons ce qui se passe dans la conscience. Est-ce après boire qu’on est capable d’attention et surtout de réflexion ? L’état de verve qui se produit alors chez certains hommes est le contraire de l’état de concentration. Le pouvoir d’arrêt faiblit ; on se livre sans réserve : « In vino veritas ». Puis peu à peu, la conscience s’obscurcit, ses états flottent indécis, sans contours nets, comme des fantômes. L’affaiblissement de l’attention et celui des mouvements vont donc de pair : ce sont deux aspects d’un événement unique au fond.

Toutefois une autre question se pose ; nous ne voulons pas la traiter en passant et nous ne faisons que l’indiquer au lecteur. Si l’état d’épuisement nerveux empêche l’attention, nous toucherions donc ici à sa source. L’homme sain est capable d’attention, d’effort, de travail, au sens le plus large ; le débilité est incapable d’attention, d’effort, de travail. Mais le travail produit ne vient pas de rien, il ne tombe pas du ciel, il ne peut être que la transformation d’une énergie préexistante, le changement d’un travail de réserve en travail actuel. Ce travail de réserve, emmagasiné dans la substance nerveuse, est lui-même l’effet des actions chimiques qui s’y