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ANALYSES.th. de régnon. La métaphysique des causes.

besoin pour s’établir de cette primauté de l’être sur le non-être : il lui suffit que l’être soit.

L’être existant il faut en effet lui trouver des causes. Ces causes sont au nombre de cinq : la cause efficiente, la cause exemplaire, la cause formelle, la cause matérielle et la cause finale. L’auteur expose avec beaucoup de clarté et de précision le rôle des diverses causes, leurs lois particulières et leur correspondance entre elles. Nous devons le louer en particulier de l’importance qu’il accorde à la cause exemplaire idée de la cause efficiente, qu’il distingue soigneusement de la forme, qui ne se trouve que dans l’effet. Nous ne pouvons le suivre dans tout le détail de cette exposition qu’il faut étudier dans le texte même. Nous voulons seulement marquer quelques points intéressants et qui peuplent donner à réfléchir. C’est la théorie de la cause efficiente qui nous les fournit.

L’auteur s’attache à montrer que toute cause véritablement et purement cause est un agent ; or, l’agent ne pâtit pas, donc la cause ne change pas en agissant, car changer est une sorte de pâtir. La cause est donc, selon la formule d’Aristote, un moteur immobile. L’action, en tant qu’elle est un mouvement, se trouve dans l’effet et non dans la cause. La cause immobile ne perd donc point de son énergie en causant, elle ne s’épuise pas par son acte, elle reste après avoir causé ce qu’elle était avant ; son effet est semblable à elle, car il est constitué par deux éléments, une matière ou puissance passive et une forme. C’est la forme qui, dans l’effet, représente la cause. Or, comment la forme pouvait-elle préexister dans la cause à titre d’idée ? La cause efficiente est donc intelligente, et sa causalité n’est possible que par la pensée. C’est en effet à l’idée ou à la pensée que l’auteur ramène le circuit presque entier de la causalité. Il ne veut certainement pas être idéaliste, et cependant entre beaucoup de ses propositions et celles de M. Lachelier, par exemple, entendues comme elles doivent l’être, il n’y a qu’une bien faible distance. Cette tendance à se rejoindre dans une doctrine où la matière joue un rôle de plus en plus amoindri, que manifestent des doctrines parties des points les plus opposés de l’horizon métaphysique, est une chose très curieuse et qui fait penser. Car la matière, le R. P. le dit maintes fois, n’est qu’une abstraction, une puissance passive et vide, qui ne peut exister sans forme. Or, la forme n’est rien que dans la pensée et par la pensée.

Ce n’est pas la seule fois que l’auteur touche aux questions contemporaines, et suscite de vives réflexions. Sans parler du dernier livre où sont agitées les plus hautes questions sur l’ordre et la liberté[1], il y a une théorie qui est exposée maintes fois dans l’ouvrage et qui touche au problème le plus controversé peut-être de la philosophie contempo-

  1. Le P. de Regnon est l’auteur d’un volume sur Bañes et Molina, in-18, Oudin, 1883, où il a étudié plus spécialement le problème du libre arbitre.