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L’auteur ajoute toujours avec logique : « Il n’y a rien de tel qu’un péché de commission ; tous les péchés sont péchés d’omission. »

La vertu ainsi comprise est évidemment incompatible avec la perfection, plus on se rapproche de cet état, moins on peut être vertueux, puisqu’on doit de plus en plus se livrer à ses instincts et que la vertu consiste justement à leur résister. Un homme doué de toutes les mauvaises tendances, mais qui fait quelques rares efforts pour leur résister, est infiniment plus vertueux qu’un homme qui n’aurait que de bons instincts. De là dérivent deux conséquences : la première que l’éthique est une chose transitoire, car si l’homme devient jamais bon, il ne sera plus vertueux et n’aura pas à l’être ; la seconde que la science de l’éthique est impossible : « Nous pouvons définitivement admettre que la vertu est un signe d’imperfection. Mais il est évident que nous n’avons aucun moyen de déterminer dans quelle mesure un homme est ou n’est pas vertueux. Il ne peut être vertueux que s’il a un penchant au vice, que s’il est imparfait et plus il est imparfait, plus il lui est possible d’être vertueux. Nous pouvons voir l’imperfection, mais nous pouvons rarement voir la vertu, et nous ne pouvons jamais apprécier la valeur, l’intensité, la quantité ou la qualité de cette vertu. Peut-être l’homme qui fait constamment le mal est-il plus vertueux que celui qui fait toujours le bien. » — Mais la science de l’éthique pure et simple doit découvrir et fournir des règles pour déterminer dans quelle mesure un homme est digne d’être loué ou blâmé pour ses actes. C’est précisément ce que nous ne pouvons jamais déterminer. Une science de l’éthique pure est donc impossible. » Et l’auteur ajoute. « Mais il est heureux que, en même temps que nous découvrons l’impossibilité d’une science de l’éthique, nous apprenions aussi qu’une telle science serait sans utilité si nous l’avions. » Le monde n’a affaire qu’aux effets objectifs des actes, le jugement qu’il porte sur ces effets est valable, mais c’est faussement conclure que de louer ou blâmer les auteurs des actes : « Nous n’avons ni pouvoir ni droit de juger : « Ne jugez point. » Et l’auteur conclut que « la discussion sur le libre arbitre et la nécessité est sans utilité et sans fruit. »

Il y aurait quelques observations à faire sur les détails des théories de M. Maude, par exemple l’intention, qui n’est pas ce que M. Maude appellerait un fait objectif, a son importance au point de vue déterministe comme signe de certaines tendances. Mais je ne veux pas insister sur ces points secondaires.

L’ouvrage de M. Maude se résume en somme en ceci : prendre une notion particulière du mérite et du démérite, celle qui implique le libre arbitre de l’agent, la distinguer soigneusement de toutes les autres formes possibles de moralité (bonne conduite, justice, etc., compatibles avec le déterminisme), postuler le libre arbitre pour rendre possible le mérite qui l’implique et découvrir ensuite que l’on ne peut arriver ainsi à la science de l’éthique qui, d’ailleurs, si on pouvait la faire, serait absolument sans utilité. Le lecteur ayant apprécié, comme il le devait, la