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en faut croire l’auteur, il n’est pas de vrais misanthropes excepté ceux qui le sont devenus à la suite de souffrances personnelles. Ce qui fait naître le mépris du monde, c’est la contradiction entre le monde réel et le monde idéal flottant devant les regards du contemplateur. Or, quand cette contradiction paraît inconciliable, l’amertume qui en résulte est prise pour haine. Mais « ce que le misanthrope, par erreur, prend pour de la haine, ce n’est pas autre chose, en effet, que l’amour se dévorant soi-même par excès de tristesse ». Comment l’amour, demande l’auteur, pourrait-il produire la haine ? Le démon de la haine et le génie de l’amour ne se peuvent pas partager dans le même objet ; donc la philanthropie ne se peut pas transformer en misanthropie.

Cet argument ne nous parait pas juste ; car, quoique l’amour et la haine s’excluent dans le même temps, l’un peut suivre l’autre : voilà ce que les faits nous enseignent. Encore moins pourrons-nous accepter cette idée de l’auteur, « que l’objet de sa haine ne peut être qu’un objet indifférent à lui ». La critique de cette phrase est dans la phrase elle-même.

En un troisième article, intitulé : La solution possible des problèmes moraux, l’auteur se propose de réfuter les idées de M. Oelzelt-Newin, selon lequel la morale est toute subjective : car c’est simplement une affaire de sentiment. Il oppose à M. Oelzelt-Newin le principe spinoziste : « Beatitudo non est virtutis præmium, sed ipsa virtus ».

Dans l’article suivant, il cherche à montrer, à l’aide d’arguments peu neufs, que la liberté du vouloir n’est pas une restriction de la loi de causalité.

En un cinquième article, l’auteur prétend que la morale, étant la science qui nous enseigne, comme le dit Kant, « ce qu’il faut faire pour être homme », doit avoir la place d’honneur parmi les branches philosophiques. La théorie de la connaissance pourrait seule la précéder : toutes les autres sciences devraient la suivre. Quant à la psychologie, elle n’a de valeur pour la morale qu’en tant qu’il s’agit de la fonction psychologique de la volonté, dont la morale nous enseigne la maitrise. C’est là une opinion que je ne peux point partager, car chaque branche philosophique qui n’est pas fondée sur la psychologie est bâtie sur le sable : la théorie de la connaissance même a grand besoin de la psychologie, sous tous les rapports.

Les trois autres articles, tous écrits d’un style très remarquable, contiennent des arguments contre l’estime exagérée de la personnalité, contre le matérialisme, et contre la négation d’une origine déductive de la loi de causalité.

En somme la lecture du livre qui, je crois, se distingue plus par l’élévation que par la profondeur de la pensée, n’enseignera peut-être pas beaucoup de choses nouvelles au petit cercle des savants ; mais, en s’adressant au grand public, ces essais seront bien capables de répandre des idées claires et plus saines sur les questions de la vie et du monde.

E. Pacully.