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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

différence est au contraire pour lui la forme d’association la plus parfaite. Dès lors comment suivre la pensée de l’auteur qui vient de dire justement que se souvenir, c’est apprécier les ressemblances et les différences des sensations ? Si la simple mémoire peut ce que peut faire l’association sous sa forme la plus haute, comment en serait-elle distincte, comment admettre que celle-là se développe longtemps sans avoir rien de commun avec celle-ci ? Il serait d’ailleurs surprenant que le principe de l’association des idées fût à partir du troisième stade, comme l’assure M. Romanes, le « principe vital » de la mémoire lorsque jusque-là elle n’aurait eu « rien à faire » avec lui (pages 105 et 107).

La revue qui suit des aptitudes mnémoniques et associatives des divers groupes zoologiques[1] est certes très instructive, et toutes les fois que M. Romanes revient aux exemples concrets, sa supériorité comme naturaliste éclate ; on voudrait néanmoins dans un ouvrage de ce genre des vues systématiques plus cohérentes et des délimitations morphologiques plus nettes entre les phénomènes essentiels de la vie de l’esprit.

La perception. — « Au niveau 18 du diagramme, j’ai représenté la sensation donnant naissance à la perception… Une sensation est un état de conscience élémentaire ou indécomposable ; mais une perception suppose un processus d’interprétation mentale de la sensation au moyen de l’expérience acquise. » La reconnaissance spécifique, le fait de rapporter le groupe de sensations à une classe déjà établie impliquent la mémoire et l’association des idées, et c’est pour cela que la perception occupe un niveau aussi élevé. Même une fois apparue elle continue à se développer, si bien qu’elle s’élève jusqu’au plus haut niveau atteint par l’intelligence animale. M. Romanes dira plus loin en effet que « la ratiocination est simplement un processus très complexe de perception » et que réciproquement « une perception est toujours essentiellement ce que les logiciens appellent une conclusion. » En d’autres termes, la perception est le nom générique des

  1. M. Romanes devrait être plus affirmatif en ce qui concerne le degré de mémoire dont les Helix sont capables. Chaque nuit dans les jardins ils quittent un abri sûr qu’ils se sont choisi et vont quelquefois fort loin en droite ligne mettre à mal des salades ou de jeunes plants remarqués antérieurement. Les vers ont aussi de la mémoire. Je puis même citer un exemple de mémoire ou de quelque chose d’analogue chez les Serpules. Schneider (Der Thierische Wille, p. 194) dit que les serpules rétractent subitement leurs touffes lorsque l’ombre d’un objet se mouvant avec rapidité vient à passer sur elles. Nous avons observé ce fait au Havre en 1873. Mais nous avons de plus remarqué qu’au bout d’un certain temps nous avions beau passer rapidement la main devant la vitre de l’aquarium, les serpules ne rétractaient plus leurs collerettes, elles avaient discerné que le choc redouté ne se reproduisait pas, et s’en souvenaient.