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ont reçue. Les autres tissus, le protoplasma lui-même, témoignent de la même aptitude. La mémoire est le même phénomène auquel la conscience se surajoute.

Un problème intéressant est posé par l’auteur à propos de cette faculté. Est-elle contemporaine de l’association des idées ou lui est elle antérieure ? M. Romanes pense que trois stades de la mémoire apparaissent avant que des idées puissent être associées, soit chez l’animal soit chez l’homme. Premier stade : une excitation ayant été produite sur un nerf sensitif, l’effet de cette excitation dure un certain temps et pendant tout ce temps une modification agréable ou désagréable ne cesse pas d’être imprimée au sensorium (persistance des impressions sur la rétine, douleur qui suit un coup). Second stade : une sensation présente est sentie comme analogue à une sensation déjà éprouvée, disparue dans l’intervalle. Peu importe que la sensation ait été éprouvée par l’individu ou par ses ancêtres, le fait de la reconnaissance est le même dans les deux cas ; dans le cas où l’hérédité transmet le souvenir, celui-ci a le caractère d’un instinct. Le goût de l’enfant pour les saveurs sucrées en est un exemple[1]. Troisième stade : une sensation présente est perçue comme dissemblable d’une sensation passée. Il est évident que ces deux derniers stades n’en font qu’un, puisque la perception de la différence est inséparable de celle de la ressemblance. Quoi qu’il en soit, ces deux stades peuvent-ils, comme c’est l’opinion de l’auteur, se dérouler avant que l’association des idées fasse son apparition ?.

Remarquons d’abord que par le mot idée l’auteur désigne non pas les produits de l’activité mentale la plus complexe, mais toutes les formes de la représentation consécutives à la sensation actuelle, quelle qu’en soit la dignité. La question est donc simplement de avoir s’il y a eu association, liaison, entre deux images quelconques dans les premières phases du souvenir. Or l’auteur reconnaît deux sortes de liaisons ou d’associations : l’association par contiguïté et l’association par similitude. S’il nie que l’association soit présente au début de la mémoire, c’est sans doute que l’association par contiguïté est la forme la plus haute et que la mémoire ne lui parait pas capable de s’élever jusque-là ? Eh bien ! non. La liaison par ressemblance et

  1. M. Romanes admet dans la même page (105) avec Sigismund que la prédilection de l’enfant pour les saveurs sucrées est un souvenir du goût du lait, et avec Preyer et Kussmaul que l’enfant reconnaît et préfère les saveurs sucrées dès le premier jour. Cela ne se concilie pas facilement. Si d’ailleurs le goût pour le sucre dérive du goût pour le lait, d’où vient le goût pour le lait et comment se fait-il que les vipères aiment le lait, que les fourmis et les mouches aiment le sucre, avant que les unes et les autres y aient jamais goûté ?