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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

maladie du sujet, l’acte inconscient ne doit-il pas exister aussi ? C’est ce qui arrive en effet chez un certain nombre de sujets. Considérons une personne dont un membre est anesthésique et sans hypnotisation ni suggestion préalable, en prenant simplement la précaution de fermer les yeux du sujet ou mieux encore de mettre un écran devant les yeux[1] ; soulevons ce membre et abandonnons-le en l’air. Très fréquemment le bras anesthésique reste immobile dans la position où nous venons de le placer. Ce phénomène signalé autrefois par Lasègue a été l’objet d’une étude minutieuse de MM. Binet et Féré[2]. Ils ont remarqué une quantité de détails qui se rattachent à ce fait et dont voici les principaux. Le bras anesthésique se maintient en l’air à l’insu du sujet pendant un temps fort long, quelquefois plus d’une heure. Cela est dû probablement à l’absence du sentiment de fatigue qui nous ferait baisser le bras bien avant le véritable épuisement musculaire. Si on communique un mouvement à ce bras, on le voit continuer le mouvement pendant un certain temps. Cette répétition prouve que le mouvement imprimé par l’opérateur a été l’objet d’un enregistrement physiologique qui ressemble fort à une perception et à une mémoire inconsciente ; on obtient par le même procédé la répétition de certains mouvements nécessaires pour l’écriture ; dans certains cas même la main anesthésique continue la phrase qu’on a commencé à lui faire écrire. C’est un moyen nouveau et curieux d’obtenir encore l’écriture automatique. Les études de MM. Binet et Féré sur ces phénomènes sont trop complètes pour que nous les décrivions davantage ; nous désirons seulement insister sur un point et ajouter une observation.

La main qui exécute ces mouvements sans que le sujet puisse la voir est anesthésique, c’est-à-dire que le sujet quand on l’interroge ne sait pas que sa main a été piquée, qu’elle touche un objet ou qu’elle remue, et cependant cette main se conduit à l’insu du sujet comme si elle était parfaitement sensible. Si on met un poids sur le bras anesthésique pendant qu’il reste levé en l’air, les muscles s’adaptent inconsciemment, ainsi qu’on l’a remarqué, à cette charge nouvelle et le bras supporte le poids sans fléchir. C’est ainsi que fait Lem…, mais B… fait mieux. Sa main saisit le poids et le retient pour qu’il ne tombe pas. Si l’on met un crayon dans la main anesthésique, les doigts se courbent et se placent d’eux-mêmes à l’insu du sujet

  1. Nous préférons ce second procédé : on n’est jamais certain de l’état dans lequel se trouve une hystérique quand on a touché à ses yeux. A… et Lem. s’endorment ainsi immédiatement, ce que nous voulons maintenant éviter.
  2. Arch. de physiol., 1er octobre 1887.