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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

tact existe des deux côtés[1], un objet mis dans les mains et dissimulé par un écran est reconnu facilement. Nous savons que Léontine, au contraire, ne pouvait reconnaître un objet que par la main droite et ne le sentait pas avec la main gauche. Le sens musculaire existe également des deux côtés, quoique tout à l’heure il n’existait qu’à droite. Les yeux étant complètement fermés, il n’y a pas lieu d’étudier le sens de la vue. Le sujet a le sens de l’ouïe, mais d’une façon toute particulière ; il n’entend que moi et encore seulement quand je le touche ; il est complètement isolé, séparé du monde extérieur et des autres personnes. Les mouvements des membres sont faciles, quoique lents, si je les commande, mais il est bien rare qu’il y ait des mouvements spontanés et cette immobilité contraste avec l’agitation perpétuelle de Léontine. Ajoutons enfin une remarque générale que je signale sans chercher à l’interpréter, cet article étant surtout une énumération de faits : le côté gauche du corps est plus sensible et surtout plus actif que le côté droit ; c’est le bras gauche qui remue le plus volontiers, tandis que le bras droit reste ordinairement appuyé sur moi et sert de moyen de communication. Or on sait que dans la vie normale du sujet c’est toujours le côté gauche qui a été malade et affaibli de mille manières. Des contractures, des anesthésies, des sueurs maladives, des maladies de l’œil et même la carie des dents qui a détruit toutes les molaires de ce côté et a laissé intact l’autre côté, voilà le lot du côté gauche pendant la veille, il semble prendre sa revanche pendant les quelques moments du second somnambulisme.

Si l’on parvient à maintenir ce même état pendant quelque temps, une heure par exemple, ce qui est difficile, l’intelligence semble se développer ; le sujet répète moins les questions et y répond davantage. Nous pouvons alors constater des faits psychologiques plus complexes. Je n’insisterai pas sur le caractère sérieux et docile que le sujet prend alors et qui est si différent de celui de Léontine, mais j’étudierai ce qui me paraît capital dans tout somnambulisme, l’état de la mémoire : 1o le sujet dans cet état se souvient de tout ce qu’il a fait ou entendu dans les somnambulismes du même genre ; 2o le sujet se souvient facilement de ce qui a été fait pendant l’état de veille, mais il se distingue encore de la personne éveillée : « B., l’autre, dit-il, a fait cela, je sais qu’elle l’a fait, je l’ai vu » ; 3o enfin le sujet dans cet état se souvient du somnambulisme ordinaire et des actions de Léontine, mais, chose curieuse, s’en distingue encore : « Vous voyez

  1. Pour parler exactement, il faut dire que le sujet perçoit les sensations de toucher, mais ne paraît pas sentir de douleur ; il y a encore analgésie s’il n’y a plus anesthésie.