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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

malgré des distractions extérieures… » Ici de deux chose l’une : ou M. Romanes croit que l’idée peut surgir sans être liée à aucun antécédent psychique ou sans que ses antécédents soient eux-mêmes liés à aucune excitation sensorielle, et la thèse qui soutient l’existence de pareilles apparitions est contraire à la loi du déterminisme universel ; elle est des plus discutables ; ou bien il admet que l’antécédent, quoique difficilement appréciable, existe ; et nous sommes en présence d’un cas vulgaire d’association : la marche de la pensée est inintelligible sans de telles connexions ; c’est l’ordinaire de la vie psychique. — 4e stade : « Enfin nous en venons à une phase où des images mentales sont intentionnellement formées dans le but déterminé d’obtenir de nouvelles combinaisons idéales. » C’est ici l’acte de penser lui-même ; penser, c’est combiner les éléments fournis par l’expérience. Ces combinaisons sont de trois sortes : ou elles comprennent des éléments représentatifs purs et ont pour but la découverte de l’ordre réel des choses, du vrai objet : ce sont des raisonnements ; ou elles comprennent des idées de buts et de moyens, des images motrices et musculaires plus ou moins complexes, en vue d’atteindre un avantage quelconque, un bien non encore réalisé : ce sont des volontés ; ou enfin elles comprennent des concepts ou des fins sans autre but que leur représentation elle-même : ce sont des phénomènes esthétiques. Dans tout cela pas une place pour une faculté spéciale qui puisse se distinguer de l’un de ces actes essentiels, penser, vouloir, jouer et jouir de sa pensée et de sa volonté sans but extérieur. Oui, l’animal se représente vivement et quelquefois nettement son abri, sa proie, l’ennemi ou le compagnon ; mais c’est qu’il pense, c’est cela même qui est sa pensée. Oui, l’animal se fait des illusions : éveillé comme endormi, il a ses rêves, ses cauchemars et peut-être ses visions surnaturelles ; mais tous ces phénomènes, mal étudiés encore et auxquels M. Van Ende après M. Romanes a consacré une intéressante étude, forment son idée même du monde où il entre à la fois de l’erreur comme dans toute pensée irréfléchie et du drame comme dans tout poème : la cosmologie de l’animal supérieur peut être devinée comme on essaye de deviner celle de l’homme primitif ; mais on n’a pas besoin pour cela de faire appel en dehors de la connaissance, du vouloir et de la faculté esthétique, — en dehors de la science, de l’industrie ou technique et des beaux-arts produits de ces facultés — à une faculté hybride pour laquelle il n’y a de place distincte dans aucun compartiment d’une classification rationnelle.

De l’instinct. — Ces études fragmentaires ne font que masquer les grandes lignes de la psychologie animale, telles qu’elles sont cepen-