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naissance n’est que l’effet de certaines associations de mots et d’attitudes suggérées à l’enfant. Un exemple entre mille. La petite Blanche a dix mois ; on lui a montré souvent le portrait de Victor Hugo appendu à la muraille, en lui disant : « Vois grand-père. » Aussi la voit-on se tourner vers la gravure, dès qu’on lui dit : « Où est grand-père ? » Et je vous assure que ce brave homme est loin de ressembler au grand poète. On lui aurait dit, en lui montrant l’image : Vois grand’mère », qu’elle en aurait fait tout autant.

Admettons cependant qu’un enfant de douze à quinze mois, si on l’y aide un peu, puisse deviner une figure humaine, peut-être même un animal familier, dans un petit dessin. Cette reconnaissance, par elle-même, n’a rien qui l’intéresse beaucoup. Même à l’âge de deux ans et demi ou de trois ans, le plaisir qu’il éprouve à la vue de ces reproductions artificielles des êtres est loin d’égaler celui des images de la glace. Surtout les idées que l’enfant déjà en possession de la parole se fait des êtres ou des objets représentés sont encore très incomplètes.

Un petit enfant de deux ans et demi, dont j’ai parlé ailleurs, appelait oua-oua tous les chiens, sauf Cambo, celui de son grand-père, qu’il ne savait pas appeler par son nom, mais qui n’était pas pour lui un oua-oua vulgaire. Il appelait encore oua-oua les petits animaux de bois de sa collection, le chien, la chèvre, le loup, l’hyène, le lion. Mais, devant un lion empaillé, il parut surpris, quand je le lui appelai oua-oua, et il me regardait comme si je me trompais. S’il distinguait très bien un âne d’un cheval, et surtout d’un bœuf, dans la rue, dans sa ménagerie tout cela s’appelait moû (bœuf). Je l’avais mis un soir sur ma table, avec un crayon à la main et du papier blanc devant lui. Je dessinai grossièrement un quadrupède : il dit moû. Je voulus lui faire quelques dessins simples, par exemple un petit rond ; il nous fit rire de bon cœur, quand il appela cela titi, nom qu’il avait appris depuis longtemps à donner au sein de sa nourrice. Nous apprîmes ainsi que titi avait pour lui le sens précis de mamelon et non pas de mamelle[1].

À quinze mois, dit M. Pollock, de son côté, son fils désignait le cheval par le conventionnel gee, gee, et il reconnut un zèbre dans une peinture ; par ge, ge, il marqua qu’il savait ce que c’était[2]. ». — Le fils de Sigismund, dit Preyer, à la fin de sa deuxième année, « interprétait un cercle comme une assiette ; un carré, comme un bonbon ; au vingt et unième mois, il avait reconnu l’ombre de son père, dont

  1. Les trois premières années de l’enfant, p. 305.
  2. Mind, juillet 1878.