Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
B. PEREZ.l’art chez l’enfant

objets suivants : un homme, une femme, un homme à cheval, un homme à table, un homme en bateau, un homme devant sa maison, un homme dans son jardin, une table seule, une fleur seule, etc. Tous ces exercices m’ont montré, de diverses façons, et à différents degrés, le défaut d’habileté technique et de science optique, l’absence de perspective et de proportion. Je résume en quelques traits généraux toutes ces observations.

L’impénétrabilité et l’opacité paraissent ne pas exister pour le naïf dessinateur. Les cheveux se hérissent ou se bouclent à travers l’étoffe du chapeau ; le gribouillage surajouté au menton ou aux joues, pour représenter la barbe, laisse voir les lignes déjà tracées du visage ; la ligne antérieure du torse coupe les bras à angle droit ; les cannes, les parapluies, les sabres, sont coupés par les lignes des vêtements et des jambes ; les deux jambes de l’homme à cheval, dessinées parallèlement, sont coupées par la ligne dorsale et par la ligne abdominale du cheval ; les jambes de l’homme en barque, quand elles ne sont pas tout à fait au-dessus ou qu’elles ne se prolongent pas au-dessous de la nacelle, apparaissent à travers la coque, avec intersection des lignes représentant cette dernière[1].

Des enfants intelligents, mais inexercés, s’aperçoivent quelquefois de ces erreurs, sans être en mesure d’y remédier. Ainsi un enfant de huit ans, qui n’avait jamais exécuté les sortes de dessins dont j’ai parlé plus haut, ayant fait son homme à cheval, s’écrie : « Tiens ! je l’ai fait assis de mon côté. » À bout d’efforts, il m’a dit : « Ma foi ! je sais faire une jambe, mais je ne sais pas faire l’autre. Je la laisse. » Il a beaucoup ri, quand je lui ai eu montré que c’était la vraie manière de la dessiner. Cette leçon lui avait servi pour le dessin de la barque : il m’indique deux petites lignes droites, au-dessous du torse, et me dit : « Ce ne sont pas les jambes, ce sont les bancs. » Mais il n’était pas encore bien renseigné sur ce qui doit paraître, et ce qui doit être caché dans un dessin ; il ignorait que les bancs, pas plus que les jambes, ne sont visibles à travers les cloisons de la barque. Je l’ai édifié, une fois pour toutes, sur ce point important, en l’engageant à peindre sa barque en noir.

Inutile d’ajouter que l’homme est placé à table obliquement, en vertu d’un équilibre d’autant plus étonnant, que ni ses jambes ni son torse n’effleurent la chaise placée derrière ou devant lui ; ou, s’il y a adhérence, il y a aussi compénétration et intersection de l’un par l’autre. Que le maître de la maison se montre à travers les murs

  1. Je trouve confirmation de quelques-uns de ces faits dans un intéressant opuscule de C. Ricci, l’Arte dei bambini, Bologne, 1887.