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les deux jambes sont devenues, comme les bras, et à la même époque, deux boyaux en général parallèles, leurs terminaisons arrondies indiquent visiblement la saillie en avant des deux pieds. Il en est ainsi dans beaucoup de dessins. La plupart du temps, même dans les figures de profil, les deux pieds sont opposés, comme dans les sculptures du moyen âge. Les enfants les plus intelligents sont ceux que tournent le mieux les pieds. N’oublions pas, d’ailleurs, que l’enfant, qui voit moins nettement les articulations des jambes que celles des bras, fait longtemps les membres inférieurs tous droits, qu’il s’agisse d’un homme qui court, d’un homme à cheval, d’un homme assis à table ou dans une barque.

Voici donc l’homme complet, ce nous semble. Eh bien, non, certains enfants, poussant la logique artistique jusqu’à ses exigences extrêmes, vont orner leurs créatures d’organes supplémentaires. L’enfant qui a l’habitude de dessiner le profil, en a pour ainsi dire la ligne principale, celle de gauche, au bout des doigts : il la ferait les yeux fermés, avec la proéminence nasale, et presque avec la ligne de la bouche. Quand il lui plaît de dessiner un visage de face, il commence toujours par la ligne de gauche, et celle-ci se trouve naturellement faite avec un nez. S’il y prend garde, il passe outre, car il n’a pas appris à revoir, à retoucher. Aussi pose-t-il, sans coup férir, la face qu’il voulait faire ; elle est complète : deux yeux, une bouche, quelquefois un nez indiqué par un ou deux traits entre les deux yeux. Tant pis pour le premier nez, venu sans être appelé !

Mais voici qui est, ou qui parait, non plus une étourderie, mais un défaut, ou, si l’on veut, un excès de logique. L’enfant a voulu dessiner un profil ; la ligne circulaire terminée, il met l’œil à sa place. Cet œil fait lui suggère l’idée de son voisin, et, sans penser à mal, il fait la paire : voilà le profil et son nez oubliés. La logique de l’enfant va ainsi en avant, perdant de vue ce qui est en arrière. C’est le penseur de la minute qui passe, l’ouvrier du détail qui se fait.

Cette logique étourdie, ce besoin intempestif de symétrie et d’exactitude, expliquent d’autres erreurs graphiques, telles que l’oiseau à quatre pattes, dont les dessins de l’enfant m’ont fourni quelques échantillons. L’enfant sait qu’un oiseau n’a que deux pattes ; mais l’ébauche de ce bipède lui ayant rappelé l’image d’un animal quelconque, et la vue des deux lignes représentant les pattes du volatile lui rappelant deux pattes de quadrupède, le jeune artiste ajoute les deux pièces qui manquent à son chef-d’œuvre.

Le dessin des enfants offre d’autres imperfections ou anomalies curieuses, dont j’ai noté les principales, en donnant à faire, devant moi, à plusieurs enfants de cinq à six ans, les représentations des