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B. PEREZ.l’art chez l’enfant

IV

Les qualités spéciales qui font les artistes, le coup d’œil, la précision, le sentiment de la proportion, celui de l’expression, celui même de l’idéal, se trouvent réunies, ou se développent de bonne heure, dans une large mesure, chez un grand nombre d’enfants intelligents. Pour peu qu’ils soient amenés à recevoir quelques conseils, ou qu’ils s’attachent passionnément à quelques modèles faciles à imiter, ils arrivent à une habileté d’exécution quelquefois surprenante. Il me suffira d’en citer deux ou trois exemples, choisis dans cette bonne moyenne de praticiens qui n’ont jamais fait pressentir une vocation artistique.

Paul commença à dessiner à l’âge de quatre ans. La première chose qu’il aima à représenter fut le bateau de Royan qui l’emportait à la plage pour les vacances. Il dessina longtemps des barques, des bateaux à vapeur, des navires à voiles avec une perfection rare chez les enfants de cinq ou six ans. Il les dessinait d’après des modèles, d’après nature, et de mémoire. Dans ses essais les mieux réussis, il manquait toujours quelque chose d’essentiel : les cordages, les avirons, l’arrière et l’avant changeaient quelquefois de place sans nécessité, mais c’étaient bien là des barques et des navires. Aujourd’hui qu’il a bien observé et noté jusqu’aux moindres lignes de la coque et jusqu’aux moindres agrès, il dessine et peint avec un réel talent ses petites marines. Tout le monde admire la bonne tenue de ses bateaux sur les vagues, avec un fond de ciel clair ou brouillé de quelques nuages. Le maître de dessin du lycée fut émerveillé de lui voir comprendre la perspective à la première leçon. Avec deux ou trois traits de plume ou de crayon, il met de l’air et de la lumière sur les flots.

Son imagination facile et joyeuse, en dehors de cet objet de prédilection, s’est exercée à représenter toutes sortes d’objets, et surtout l’homme et l’animal. L’habileté acquise au travail des navires lui a beaucoup servi pour tout le reste. Il émaille ses lettres de caricatures et de croquis fantaisistes. L’observation (il a onze ans) y est souvent superficielle, les jolies intentions y sont quelquefois gâtées ou à peine indiquées. Mais n’est-ce rien que cela ? Les dessins familiers d’un de ses oncles lui ont révélé le secret de l’expression. Dans une lettre, il se fait bavardant avec un petit camarade et se cachant du professeur : on le reconnaît tout de suite, à la manière dont il se sert de sa main pour chuchoter à la sourdine. On ne reconnaît guère,