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il est vrai, son ami, et le professeur n’a aucune expression caractérisée. Dans une autre lettre, il annonce un toast en l’honneur des destinataires, et le toast se fait avec une bouteille de vin du Rhin. Il ne manque pas de représenter, autour d’une table ronde, ses parents et son frère à côté de lui, tous le verre en main. Tous sont ressemblants, mais lui seul s’est dessiné joyeux : il n’a pas songé à la gaieté des autres, l’aimable étourdi ! J’ajoute que, dans ses inventions parfois ingénieuses, ce qui manque le plus, même quand la ressemblance et l’expression sont atteintes, c’est la précision et l’égalité du dessin. Mais, puisqu’il y est arrivé pour les marines, il y a lieu d’espérer qu’il y arrivera pour les autres dessins, en les soignant.

Ce n’est pas à un enfant de sept ou huit ans, ni même à un enfant de dix ans, qu’il faut demander le sentiment exact des proportions et la précision rigoureuse du dessin. Les moins étourdis sont incapables de subordonner parfaitement les détails à l’ensemble, et d’observer la direction des grandes lignes. Ils s’attardent à quelque détail plus ou moins saillant, parce qu’il les aura frappés, ou simplement parce que c’est par là qu’ils ont commencé ; ou bien ils glissent rapidement sur le tout, se contentant d’un certain à peu près. Ces défauts n’indiquent pas un défaut originel et incorrigible d’observation et de jugement. Ils tiennent souvent au manque d’exercice, et dépendent bien plus du caractère que de l’intelligence. Les natures vives, exubérantes, ont peine à fixer leurs perceptions en présence de l’objet, et à les préciser en son absence. Leurs représentations sont vives, ingénieuses, mais inégales. Les esprits froids, mais attentifs et observateurs, ont plus d’exactitude et de mesure, mais moins de vie et de ressemblance, ou, si l’on veut, de vraisemblance. Une pratique passionnément suivie et sérieusement dirigée peut atténuer ces défauts et équilibrer ces qualités chez les uns et chez les autres.

L’enfant dont j’ai à parler maintenant est tout le contraire de l’autre. Il pèche par lenteur plutôt que par vivacité d’imagination. C’est un esprit fait de bon sens et d’exactitude. Il fut, dès ses premières années, précis dans son langage, net dans son écriture, juste dans ses raisonnements. Ses premiers dessins, à moitié spontanés, furent rigides et inexpressifs. Vers l’âge de sept ans, il vit des locomotives dessinées par un de ses oncles, ingénieur du chemin de fer. Ce qui l’étonna surtout, ce fut d’en voir dessiner une en quelques minutes. L’enfant demanda à garder le papier, et il ne le quitta pas des yeux de toute la journée. Le lendemain, au déjeuner, il montra une reproduction assez maladroite du dessin, o Pour la première fois, lui dit son oncle, ce n’est vraiment pas mal : je n’en aurais pas fait autant à ton âge. » L’enfant, ravi, lui demanda d’autres modèles ;