Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

donnent leur couleur aux actes centrifuges, par eux-mêmes indéterminés et inconscients dans leur racine. Si M. Romanes avait poussé plus avant son analyse des phases de la connaissance, il eût obtenu par contre-coup des résultats plus nets encore dans l’analyse de la volonté. Il eût été conduit ainsi d’ailleurs à reconnaître le parallélisme et par conséquent l’opposition symétrique des deux séries de phénomènes, qu’il a trop souvent sinon confondues, du moins mêlées dans son exposition.

Origine et développement de l’instinct. — M. Romanes se trouvait en présence de deux doctrines formellement opposées en ce qui concerne l’origine des instincts. D’une part Spencer soutient, suivant lui, que les instincts sont nés par évolution à partir des réflexes, qu’ils sont en un mot des « actes réflexes composés » et que « aucun instinct n’a nécessairement dû être intelligent, à aucune époque » (p. 259). Lewes au contraire admet que l’instinct dérive par régression de l’intelligence, qu’il est un substitut de l’intelligence disparue et que par conséquent il n’est pas un instinct qui n’ait été à l’origine un acte intelligent. (Id.) M. Romanes pense que ces deux thèses, si on les transforme en propositions particulières, sont vraies toutes les deux, c’est-à-dire que certains instincts dérivent des réflexes, certains autres de l’intelligence : les premiers sont les instincts primaires, les seconds les instincts secondaires ; voyons comment cette thèse éclectique se justifie.

Contre Spencer, M. Romanes établit d’abord avec force que tous les instincts ne se sont pas formés par une complication progressive des actes réflexes. S’il lui fallait choisir entre les deux thèses également absolues de Spencer et de Lewes, c’est cette dernière qu’il choisirait, en raison de la haute importance qu’il attache à l’élément mental, à la conscience dans la formation de l’instinct. Quelques-uns tout au moins dérivent sans doute possible d’habitudes adoptées consciemment et intentionnellement. C’était l’opinion de Darwin. « Ce serait, dit-il dans ses notes manuscrites, une grande erreur que de considérer la majorité des instincts comme acquis par l’habitude et héréditaires. Je crois que la plupart sont le résultat, accumulé par la sélection naturelle, de modifications légères et avantageuses d’autres instincts, lesquelles modifications sont, à mon avis, dues aux mêmes causes qui produisent des variations dans les organes physiques… Mais dans le cas des nombreux instincts qui, à ce que je crois, ne sont pas nés par voie d’hérédité, je ne doute pas qu’ils n’aient été fortifiés et perfectionnés par l’habitude… » Et M. Romanes déclare que par ce mot habitude, Darwin entendait la régression de l’intelligence, et qu’il « reconnaissait pleinement