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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

C’est encore mal interpréter la pensée de Spencer que de lui reprocher de ne pas faire intervenir l’intelligence dans la genèse des instincts. Par cela même que le mécanisme et que l’organisation, cas particulier du mécanisme universel, se compliquent, le « frottement ganglionnaire », doctrine si chère à M. Romanes, engendre la conscience et l’intelligence avec elle. L’intelligence est donc de bonne heure appelée à prendre part aux actes de l’animal, sous forme rudimentaire d’abord, sous forme plus éminente ensuite, dans une proportion exactement en rapport avec la complexité des actes à réaliser.

M. Romanes reconnaît (p. 264) que des instincts se sont probablement formés selon ce « troisième mode » ; en réalité ce n’est pas un troisième mode ; c’est celui selon lequel se sont établis les instincts primaires, et, si l’on admet qu’une dose infinitésimale d’intelligence a suffi « pour la genèse d’actes occupant la frontière douteuse qui sépare le réflexe de l’instinctif », on doit, quand on est partisan comme l’est M. Romanes du système de l’évolution, admettre qu’une accumulation de doses également infinitésimales du même accompagnement psychique, parallèle au progrès des organismes en complexité, a pu suffire de proche en proche à la genèse même de la raison, par suite et à fortiori à la genèse des instincts supérieurs.

La difficulté n’est pas là. La question est de savoir comment ces instincts primaires ont pu se trouver adaptés à un but et conformes aux exigences de la vie. La sélection a l’air de répondre aux exigences du problème, et il semble que c’est pour cette raison plus que pour toute autre que M. Romanes la maintient contre Spencer. Si on se borne à montrer les organismes supérieurs, avec leurs manifestations motrices variées, sortant des organismes inférieurs plus pauvres en mouvements, la complication aura beau être nécessaire, elle pourra n’apporter aucune manifestation utile, car la complexité pourrait se faire sans profit pour l’être en qui elle s’établit ; à la rigueur même elle pourrait se faire contre lui. Des rapports internes résultent des rapports externes, dites-vous ? Deux séries parallèles de changements ne sont pas nécessairement plus avantageuses à qui que ce soit dans une série que dans une autre ; elles sont, elles se développent, voilà tout ce qui semble résulter des données purement mécaniques du système. Au contraire, dès qu’on fait intervenir la sélection, l’adaptation semble assurée. En effet, il est constant qu’une multitude d’habitudes non intelligentes, inutiles et non adaptées, comme les tics, s’établissent incessamment chez les êtres vivants, que ces habitudes toujours inintelligentes, inutiles et non adaptées peuvent devenir héréditaires, ce de quoi M. Romanes donne des