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preuves nombreuses. Il suffit qu’alors l’une d’elles devienne accidentellement utile (p. 188) pour que la sélection s’en empare et la fixe dans l’espèce, devenue plus apte par elle à la lutte pour l’existence, en éliminant tous ceux qui ne sont pas doués du même avantage. Bref, le perfectionnement par la sélection fondé sur la conservation et l’accroissement des caractères utiles est un progrès ; il se fait dans le sens de la vie et a pour but et pour guide l’intérêt vital des espèces ; le perfectionnement par l’équilibration directe se fait indifféremment dans le sens du progrès ou en sens inverse ; les vaines complications qu’il amène peuvent, comme le mouvement hasardeux des vagues, tantôt édifier, tantôt détruire.

Tel serait, j’imagine, le plaidoyer du sélectionniste pur contre l’évolutionniste, qui repousse la sélection. Mais la sélection n’est pas à l’abri de reproches du même genre. D’abord, comment est-il possible que des habitudes inutiles s’établissent en grand nombre et se transmettent par l’hérédité ? En tant qu’inutiles, ne seront-elles pas éliminées aussitôt que produites ? C’est un fait qu’elles durent, allègue M. Romanes. Mais alors qu’on y prenne garde : ce fait est contraire au principe même de la sélection, en vertu duquel toute modification est nécessairement avantageuse ou nuisible. Que si des habitudes peuvent naître qui soient entièrement indifférentes, comment, en vertu de quel privilège quelques-unes se trouveront-elles tout à coup être utiles ? La chose se fait accidentellement ! Le commencement du progrès qui conduit à l’établissement des instincts dépendra donc d’une rencontre fortuite. Il pourra donc ne pas se produire ; et nous voilà exactement dans la situation où M. Romanes accuse l’évolutionnisme de nous placer en face du progrès vital : il n’est plus nécessaire, il dépend d’un heureux hasard. La genèse ne s’explique pas mieux dans une hypothèse que dans l’autre.

De plus est-ce la sélection qui produit l’habitude nouvelle utile ou non ? En aucune manière. La sélection intervient après la naissance de cette habitude, la conserve et l’amplifie, mais ne la crée pas. Il faudra donc recourir pour l’expliquer à un autre principe que la sélection. L’évolution, le principe qui veut le passage de l’homogène à l’hétérogène, a donc pu rester impuissante à résoudre le problème de l’adaptation ; elle a du moins touché le problème, alors que la théorie de la sélection passe à côté. La matière sur laquelle la sélection opère, à savoir des habitudes nouvelles presque indéfiniment variées, c’est l’évolution qui la lui fournit.

La philosophie de l’évolution est-elle même si dépourvue, quand il s’agit d’expliquer non plus seulement la naissance de formes nouvelles de pensée et de mouvement hautement différenciées, mais le