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a commencé, dans noire siècle, à employer sur une vaste échelle la méthode expérimentale, elle est encore plus loin de pouvoir faire usage du calcul. À plus forte raison, la médecine ne sera-t-elle pas une science, tant elle comporte encore d’empirisme et d’aléatoire. Si au contraire on élargit le sens du mot science pour y faire rentrer les sciences naturelles et médicales, pourquoi ne pas l’élargir plus encore pour y faire rentrer les sciences morales et avec elles la philosophie ? Et après tout qu’importe que l’on étende ou que l’on restreigne le sens d’un mot ! Les choses ne restent-elles pas ce qu’elles sont, de quelque manière qu’on les appelle ? Que l’on nomme la philosophie de tel nom qu’on voudra, qu’on l’appelle une étude, une recherche, un exercice, une application de l’esprit, elle est ce qu’elle est ; et on ne lui donnera pas plus de certitude en l’appelant du nom de science, qu’on ne diminuera ce qu’elle peut avoir de solidité, en lui refusant ce nom.

Abandonnons donc cette première manière de poser la question. Laissons les mots pour passer aux choses.

Dans un sens vraiment philosophique, il n’y a qu’un cas où l’on peut dire d’une prétendue science qu’elle n’est pas une science. C’est lorsqu’elle s’occupe d’un objet qui n’existe pas. Par exemple, il y a une science qui a duré pendant une série innombrable de siècles, et que la raison moderne a définitivement éliminée : c’est l’astrologie judiciaire. Pourquoi ? C’est que l’astrologie judiciaire s’occupait d’un objet qui n’avait aucun fondement dans la réalité. Quel était cet objet ? C’était le rapport du mouvement des astres avec les destinées humaines. Or il n’y a aucune espèce de rapport de ce genre. Ces rapports étaient fictifs, fortuits, imaginés par les astrologues, plus ou moins dupes de leur propre science. Mais là où il n’y a rien de réel, il n’y a rien à étudier, rien à savoir, par conséquent pas de science. Ce n’est plus ici une question de mots : c’est une question de chose. En est-il de même de la philosophie ?

On peut dire tout ce qu’on voudra de la philosophie : qu’elle est une science obscure, arbitraire, conjecturale, dévorée par des divisions intestines, immobile et rééditant sans cesse les mêmes systèmes (tout cela est à examiner) ; mais ce qu’on ne peut pas dire, c’est que son objet n’existe pas, qu’elle ne porte pas sur des problèmes réels. On peut trouver telle ou telle solution chimérique ; on ne peut pas dire que la question soit chimérique. C’est une question chimérique de se demander quelle est l’influence d’une comète sur les événements de notre planète ; mais on ne peut pas dire que ce soit une question chimérique de se demander si le monde a commencé ou n’a pas commencé ; car il faut bien que ce soit l’un ou l’autre. Peut-être