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plongés en Dieu comme dans la lumière, par laquelle nous voyons toutes choses sans savoir en elle-même ce qu’elle est. Spinoza disait, que nous ne connaissons que deux attributs de Dieu, quand il en possède un nombre infini. La théologie elle-même affirme que Dieu est un Dieu caché ; et saint Thomas enseigne qu’il y a deux degrés d’intelligibles en Dieu, un degré par lequel il est accessible à la raison et un autre plus élevé que l’on n’atteint que par la foi. N’est-ce pas dire que ce que nous connaissons de Dieu par la raison n’est qu’une révélation incomplète et tout humaine ? Chez les anciens, Platon disait également que nous n’apercevrons que difficilement l’idée de Dieu, c’est-à-dire l’essence de Dieu, μογις ὀφθεῖσα, et les Alexandrins plaçaient cette essence au-dessus de l’intelligence et de l’être. Pour tous ces philosophes, il n’est pas inexact de dire que la philosophie est la science relative de l’absolu, en d’autres termes qu’elle est la science humaine du divin.

Maintenant, de ce que les plus grands philosophes ont reconnu que la métaphysique elle-même, que la philosophie première ne peut atteindre qu’à des lumières incomplètes, à des clartés obscures, faut-il conclure avec les nouveaux philosophes qu’une telle science n’est qu’une chimère et un leurre et qu’il faut nous renfermer dans les bornes du fini ? C’est un conseil que l’on donnait déjà aux hommes du temps d’Aristote, et qu’il repoussait par ces mâles paroles : « Il ne faut pas croire ceux qui conseillent à l’homme de ne songer qu’aux choses humaines, et à l’être mortel qu’à des choses mortelles comme lui. Loin de là, il faut que l’homme cherche à s’immortaliser autant qu’il lui est possible, ἐφ’ὅσον ἐνδέχεται ἀθανατίζειν.

Ainsi malgré les assauts qui s’élèvent aujourd’hui de divers côtés contre les parties les plus hautes de la philosophie et contre la philosophie elle-même, nous ne sommes pas encore parmi les découragés. Nous sommes fermement convaincu que l’esprit humain ne se laissera pas découronner, ni dépouiller de sa plus noble prérogative, celle de penser à l’infini. Nous ne sommes pas non plus effrayé des efforts de l’esprit nouveau qui veut porter en philosophie une méthode plus scientifique et plus exacte. On peut chercher à voir plus clair sans renoncer à porter les regards en haut : car c’est d’en haut que vient la lumière. Nous ne renonçons donc à rien de ce qui constitue la philosophie. Nous croyons à la raison humaine et à la raison divine, à la liberté philosophique et à la possibilité d’établir des principes par la liberté. Pour nous, la cause de la liberté de penser est la cause même du spiritualisme. Si la pensée doit être libre, c’est qu’elle est sacrée. Si elle était un accident fortuit de la matière, en quoi vaudrait-elle mieux que tout autre accident, tels que l’or ou