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JANET.introduction a la science philosophique

méditer sur la religion et sur la philosophie, M. Guizot, avait écrit qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir de science de l’infini, parce que le fini est infiniment disproportionné avec l’infini. J’avais pris la liberté de lui répondre que nous n’avons pas à la vérité de science complète de l’infini, mais que nous pouvons en avoir une connaissance incomplète et relative qui n’est pas un pur rien, et qui vaut mieux que rien : « J’avoue, lui disais-je, que je ne crois pas ma pensée adéquate à l’essence des choses. » Il me fit l’honneur de me répondre que j’entrais par là même dans sa doctrine. « Il n’y a de science, disait-il, que là où la pensée est adéquate à l’objet qu’elle étudie, quand il y a connaissance effectivement et possiblement complète et claire des faits et de leurs lois, de l’enchaînement des causes et des effets ; à ces conditions seules la science existe, et l’esprit scientifique est satisfait. » À ce compte, répondrons-nous, la science n’existe jamais que quand elle est finie ; avant que la science soit faite, elle n’est pas une science ; mais comment pourra-t-elle être faite si elle ne commence pas par se faire ? et pendant qu’elle se fait, elle ne peut être encore complètement adéquate à son objet ; elle ne l’est même jamais complètement, au moins pour les questions nouvelles et non résolues. La définition de Guizot ne s’applique donc qu’à la science immobile et idéale, et non à la science réelle et en mouvement. Les diverses sciences sont inégalement éloignées de ce but idéal, ce qui ne les empêche pas d’être sciences. La philosophie l’est peut-être plus que toutes les autres : cela est possible ; mais que ce soit une raison de renoncer à mes recherches parce qu’elle ne donne pas tout ce qu’on désire, c’est être bien modeste pour l’esprit humain. Il n’est pas rationnel de prétendre, à moins d’embrasser hautement le scepticisme (ce qui est encore une philosophie), que, parce que l’on ne sait pas tout, on ne sait rien, et qu’il n’y a pas de milieu entre rien et tout. Pascal disait que « tout ayant rapport à tout, toutes choses étant causées et causantes, celui qui ne sait pas tout ne sait rien. » Ne peut-on pas dire au contraire, en retournant la proposition, que tout ayant rapport à tout, toutes choses étant causées et causantes, celui qui sait quelque chose, si peu que ce soit, sait par là même quelque chose du tout.

Les plus grands philosophes et les plus dogmatiques n’ont jamais prétendu que l’on pût avoir de l’absolu une science absolue. Descartes disait que nous pouvions concevoir Dieu, mais non le comprendre. Il le comparait à une montagne que l’on peut toucher, mais non embrasser. Malebranche disait que nous ne connaissions pas Dieu par son idée, c’est-à-dire de façon à pouvoir déduire ses propriétés de son essence, comme on fait en géométrie. Nous sommes