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continuée pendant trois semaines entières, cette observation, dis-je ; m’a convaincu que le sens du toucher, par lui-même, est absolument incompétent pour nous donner la notion de l’étendue ou de l’espace, et qu’il ne prend pas même connaissance de l’extériorité locale ; en un mot, qu’un homme privé de la vue n’a absolument aucune perception d’un monde extérieur ; qu’il ne perçoit que l’existence de quelque chose d’actif, différent de ses propres sentiments de passivité et qu’en général, il ne perçoit que la différence numérique, — dirai-je des impressions ou des choses ? En fait, pour les aveugles-nés, le temps tient lieu d’espace. Le voisinage et la distance ne signifient pour eux rien de plus qu’un temps plus court ou plus long, un nombre plus petit ou plus grand de sensations, qui leur sont nécessaires pour passer d’une sensation à une autre. Ce qui peut faire tomber dans une erreur grave, c’est d’entendre un aveugle-né employer le langage emprunté à la vision, et même au commencement cela me fit tromper ; mais en réalité il ne sait pas que les choses existent les unes en dehors des autres ; et (je l’ai remarqué d’une façon toute particulière), si des objets ou des parties de son corps touchées par lui ne produisaient pas sur ses nerfs sensitifs différentes espèces d’impressions, il prendrait toutes les choses extérieures pour une seule et même chose. Dans son propre corps, il ne distinguait pas du tout la tête et le pied par leur distance, mais simplement pour la différence des sensations (il percevait ces différences avec une finesse incroyable) qu’il éprouvait de l’une et de l’autre ; et surtout au moyen du temps. De même, dans les corps extérieurs, il ne distinguait la figure que par la variété des sensations, parce que, par exemple, le cube avec ses angles l’affectait autrement que la sphère. »

Pour peu qu’on ait compris la nature du problème que nous discutons, et la solution que nous cherchons à faire prévaloir, il n’est pas possible, en lisant cette exposition, de n’être pas vivement frappé de l’éclatante confirmation qu’elle apporte à notre thèse. Ce que nous soutenons, c’est que l’aveugle manque absolument de l’idée d’espace telle que les voyants la possèdent. Or Platner ne dit pas autre chose : il va même à cet égard beaucoup plus loin que nous, et nous donne raison au delà de ce que nous pouvions souhaiter, puisqu’il prétend que les aveugles n’ont aucune notion de l’espace, tandis que nous leur en reconnaissons une, mais totalement différente de celle des voyants. Du reste les assertions de Platner à cet égard ne sont pas les seules que l’on puisse citer, et j’ai eu la bonne fortune pour ma part de les voir confirmer de la façon la plus positive par un autre observateur d’une compétence indiscutable. Au cours de