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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

appelé à justifier cette loi en dernier ressort que la nature, car si la nature, avec ses harmonies, suppose l’idée d’ordre, celle-ci à son tour suppose l’expérience externe et interne de l’organisation et ces deux idées sont adéquates l’une à l’autre. M. Spencer a donc bien fait de chercher à expliquer par un seul principe la nature inorganique, la vie, l’instinct et l’intelligence, et M. Romanes eût peut-être été mieux inspiré en suivant sa première définition : l’instinct est un phénomène d’ordre mental, qu’en admettant une catégorie d’instincts (les instincts primaires), où la conscience est réduite au rôle de spectateur inactif, où c’est en somme la variation fortuite et la sélection aveugle qui jouent le premier rôle.

Dans un très attachant chapitre sur l’Origine mixte ou la plasticité de l’instinct, M. Romanes cherche à établir que quelle que soit l’origine de l’instinct, qu’il soit un réflexe conscient ou un acte d’intelligence régressive, il peut toujours se prêter à des perfectionnements ultérieurs sous l’action de l’intelligence (p. 198 et suiv.). Comment cela serait-il possible si l’accompagnement mental de l’instinct primaire n’est pour rien dans la combinaison d’actes et de perceptions qui constitue celui-ci ? Si tisser une toile est chez la chenille un instinct d’ordre primaire, c’est-à-dire un ensemble d’habitudes non intelligentes, accompagnées seulement de quelque degré de conscience, comment est-il possible que, là où la boîte que la chenille habite est couverte d’une mousseline, elle s’aperçoit qu’il lui est inutile de tisser le voile dont elle se couvre d’ordinaire dans son cocon ? D’où vient cette fusion si complète entre deux modes d’action qui n’auront au fond rien de commun ? Comment enfin concilier cette combinaison de l’instinct et de l’intelligence avec la thèse que M. Romanes soutient au sujet de la raison : qu’elle n’est pas une floraison de l’instinct, mais qu’elle se développe dès l’origine en un rameau séparé ? qu’il n’y a par conséquent pas de passage de l’un à l’autre ? Quand je lis, au début des pages si suggestives sur les causes qui déterminent les variations intelligentes de l’instinct, que l’intelligence dans ce cas « fournit à la sélection naturelle des variations qui ne sont pas purement fortuites, mais qui sont adaptées dès le début », je me dis que c’est sans doute le cas non pas pour ces additions et corrections à des instincts déjà formés, mais pour les instincts eux-mêmes. L’imitation et l’éducation ont, dans cet ordre de faits, une part d’autant plus importante que les instincts sont plus complexes ; mais on peut à peine croire qu’il y ait quelque part de la perception ou de la conscience sans qu’elle soit la source de combinaisons adaptatives, d’intentions et de volontés rudimentaires.

Quand on admet l’hypothèse de l’évolution, c’est une nécessité de