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une autre, puis une autre, puis une autre encore, sans qu’il y ait aucun effort de notre part. Mais cette élaboration compliquée, très intelligente, ne change rien au caractère évidemment réflexe du phénomène. Il est réflexe, indépendamment de la complexité des idées qui modifient et renforcent l’excitation, par cela seul qu’il détermine soudainement et fatalement une réponse motrice.

Rien n’est plus surprenant que cette promptitude des élaborations compliquées qui se passent dans l’intelligence. Avant que la conscience ait pu raisonner, méditer, percevoir, comprendre, comparer, l’acte réflexe est exécuté ; de sorte que souvent nous sommes avertis de tel ou tel phénomène extérieur, moins par l’excitation sensitive elle-même que par le réflexe psychique qui en résulte. Ainsi, dans la frayeur, par exemple, combien de fois pourrait-on supposer qu’on n’a pas peur, si l’on n’était averti de cette frayeur même par le tremblement et le frisson qu’on éprouve.

La Rochefoucauld a dit : « un poltron ne connaît jamais toute sa peur ». Cette parole est profondément vraie. Pour beaucoup de réflexes émotifs, l’émotion peut être forte, et pourtant ne laisser que de faibles traces dans ce que nous avons appelé la vraie conscience. Aussi souvent l’émotion est-elle moins bien perçue que la réaction même des muscles mis en jeu par ce réflexe.

Les réflexes psychiques sont tantôt extrêmement compliqués, tantôt très simples. Le réflexe cité plus haut du mot police correctionnelle, qui éveille la rougeur de la figure, est un réflexe psychique compliqué, tandis que le clignement des paupières, consécutif à l’approche rapide d’un corps étranger au-devant de l’œil, est un réflexe psychique très simple. Mais, simples ou compliquées, ces émotions se produisent d’après les mêmes lois, c’est-à-dire très rapidement, sans effort aucun, sans volonté, par suite du jeu normal, régulier, de nos appareils psychiques.

On doit appeler réflexes les émotions de cette nature ; car c’est une vibration des centres nerveux qui ressemble étrangement à la vibration nerveuse déterminée dans la moelle par l’excitation périphérique d’un nerf sensitif. Le phénomène émotion, s’il n’est pas tout à fait identique, est au moins très analogue à la vibration des éléments nerveux médullaires qui déterminent un réflexe moteur simple.

Et de fait, si une vibration du nerf sciatique droit va dans la moelle exciter un groupe de cellules qui vont à leur tour exciter, sous forme de vibration motrice, le nerf sciatique gauche, il nous est très difficile, pour ne pas dire impossible, de pénétrer la nature de ce phénomène, et il me semble qu’il ne sera ni plus ni moins difficile de