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RICHET.les réflexes psychiques

amère et qu’on fait un geste de dégoût quand on sent l’odeur d’une charogne. Ce n’est pas volontairement qu’on retire la main quand elle touche un fer chaud. Ce sont là réactions involontaires, mécaniques, fatales, déterminées par notre organisation propre.

Si le sujet que je traite ici n’était pas par lui-même si long et si compliqué, j’essayerais de montrer comme cette organisation, entrainant telle ou telle émotion, telle ou telle réaction réflexe, n’est pas livrée au hasard, mais dépend de la grande loi de l’évolution. Tout être vivant est organisé pour vivre ; tous ses organes, et par conséquent toutes les fonctions de tous ses organes, sont disposés pour qu’il vive. Aussi ses mouvements réflexes sont-ils merveilleusement adaptés aux conditions normales de son existence. Le dégoût, la peur, la douleur, l’amour, le goût, provoquent des mouvements dont l’utilité et la nécessité sont absolues. Sans ces émotions salutaires, et sans les mouvements qu’elles déterminent, nul être vivant, nulle espèce animale ne pourrait prolonger son existence.

Puisque l’organisation détermine fatalement la nature de tel ou tel réflexe, de telle ou telle émotion, puisque la plupart des espèces animales ont une organisation très analogue, il s’ensuit qu’on peut prévoir et prédire presque à coup sûr telle ou telle réaction réflexe. C’est en effet ce qui a lieu, en pratique aussi bien qu’en théorie. Je suis certain qu’en faisant goûter une solution de strychnine ou de quinine à n’importe quel individu, je lui ferai faire une grimace de dégoût. De même je suis certain qu’il poussera un cri et retirera la main, si je lui pique fortement la main avec une aiguille.

Chez les animaux d’ordre inférieur, dont l’intelligence est à peu près nulle, les réflexes émotionnels psychiques, communs à tous les individus de la même espèce, actes que longtemps à l’avance on peut prévoir et dont la fatalité est absolue, représentent la presque totalité de la vie de relation de l’individu. L’individu ne fait guère autre chose que de suivre, selon les conditions extérieures variables, le cycle des réflexes émotionnels qui dépendent de sa structure. Si je connais bien les réactions des tortues, je pourrai, sans me tromper, prédire comment va se comporter la tortue inconnue qu’on me donne, et, à l’avance, je puis indiquer ce qu’elle va faire, à peu de chose près. Il me suffira de savoir si le milieu extérieur est chaud ou froid, si la tortue a mangé ou si elle n’a pas mangé. Sa réponse aux excitations périphériques sera fatale, dépendant uniquement de son organisation, et il n’y aura pas de différence entre la tortue A qu’on me présente, et une autre tortue B, de même âge,