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société de psychologie physiologique

mon aveuglement. Je laisse la question en suspens et je formulerai ainsi ma conclusion finale :

Ou bien il y a eu de ma part observation très incomplète et très infidèle, ou bien il y a eu réellement action à distance.

D’ailleurs je ne pourrai trouver mauvais qu’on ne soit pas convaincu par les expériences dont je donne ici le récit. Je sais trop bien que la conviction ne se manie pas à la manière d’une démonstration mathématique. Malgré moi, malgré mes raisonnements et mes expériences, je n’ai pas encore pu acquérir sur la réalité du sommeil à distance une de ces fortes et absolues convictions qui renversent tous les obstacles : je suis forcé d’y croire par les faits eux-mêmes ; mais ces faits sont trop nouveaux, trop étrangers à ‚mes habitudes de chaque jour, pour que je les admette à la suite d’une démonstration même excellente, et pour que j’y croie avec la même certitude que je crois à des faits habituels.

Si je voulais traiter la question théoriquement, ce qu’à Dieu ne plaise ! je ferais remarquer que cette action à distance se retrouve à chaque instant dans la nature. Qu’est-ce que l’attraction universelle, sinon une action à distance ? Est-ce que nous comprenons pourquoi une pierre jetée en l’air retombe ? Où est le fil qui la force à retomber sur le sol ? Nous voyons le fait chaque jour, et alors nous y sommes habitués. Aussi ne nous étonne-t-il pas, quoiqu’il soit assurément tout aussi impossible à comprendre d’une manière adéquate que l’action mentale à distance. L’aimant attire le fer à distance. Si nous n’étions habitués à ce phénomène, nous le déclarerions impossible : car nous ne le comprenons aucunement.

Enfin je ferai une dernière observation. Supposons que l’action à distance de la volonté soit vraie. Les choses n’auraient pas pu se passer autrement qu’elles ne se sont passées. Une autre démonstration, dans les conditions où je me trouvais, n’eut pas pû être donnée. Au contraire, si l’action à distance n’existait pas, il eût été impossible, je crois, d’obtenir ce que j’ai obtenu. Il y aurait eu tel ou tel point de détail qui eût manqué malgré la perspicacité inconsciente du sujet, et sa prévoyance eût été mise en défaut à tel ou tel moment.

Il n’y avait donc, à supposer que l’action à distance soit vraie, aucune meilleure démonstration possible, tandis que, si cette action à distance n’existait pas, j’aurais eu sans doute de tout autres résultats.

Il y a donc lieu, non pas de regarder la question comme jugée, mais d’expérimenter encore, pour se faire, s’il est possible, une conviction plus assurée, et pour supprimer les quelques doutes que peuvent encore laisser les défectuosités de nos tentatives, à M. Janet et à moi, en une question si difficile.

Charles Richet.