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haut degré absurde de supposer qu’elle a essayé de nous tromper. Elle est de bonne foi, tout autant que M. Gibert, que M. Janet ou que moi. Cela n’est pas douteux un seul instant.

Reste donc l’hypothèse d’une simulation involontaire, ou plutôt d’une auto-suggestion, qui lui fait réussir, parce qu’elle a, sans bien s’en rendre compte quand elle était éveillée, surpris quelques indices de ce qu’on veut faire et qu’elle veut réussir.

Je suppose par exemple qu’elle m’ait entendu dire que je l’endormirai demain à 10 heures. Demain à 10 heures elle s’endormira réellement, sans que j’aie agi le moins du monde, sans qu’elle ait cherché à me tromper, par cette seule raison qu’elle s’attend à être endormie et que cette attente suffit à provoquer chez elle le sommeil. C’est une sorte de simulation inconsciente, à laquelle il faut toujours penser.

J’ai fait tous mes efforts pour éviter cette influence, étant absolument convaincu que l’attention de l’inconscient est toujours en éveil, et que l’attente d’un phénomène suffit souvent à la production de ce phénomène. Mais je n’ose espérer avoir toujours réussi. Dans le récit détaillé que j’ai donné plus haut, on voit quelles précautions j’ai prises ; mais vraiment ce n’est pas encore assez… Pour éliminer l’auto-suggestion, j’ai pris des précautions minutieuses, mais je ne suis pas sûr de les avoir prises toutes. Quelque chose m’a échappé peut-être. Je ne le pense pas, mais il m’est impossible de l’affirmer.

Pour que ces expériences fussent irréprochables, il eût fallu que les demandes fussent faites par un autre que moi, qui savais l’heure à laquelle l’action avait été essayée. Certes je mettais tous mes soins à ne donner par mes demandes aucune indication sur cette heure ; mais je ne suis pas sûr de moi. Quand on désire qu’une expérience réussisse, on tend à la faire réussir. Heureux ceux qui affirment être sûrs d’eux-mêmes. Pour ma part, je conserve des doutes sur ma prudence. Assurément je ne donnais pas d’indications grossières ; mais pour la perspicacité inconsciente, attentive à me tromper et toujours en éveil, peut-être ai-je indiqué le résultat à obtenir.

Toutefois, mes efforts étant tournés vers ce désir de ne pas me tromper moi-même, il est possible que j’aie donné moins d’indications que tout autre l’eût fait à ma place. Si j’étais sûr de n’avoir donné aucune indication d’aucune espèce, la question pour moi serait jugée. Je ne crois pas au hasard : faisant une expérience qui a un millionième de chance de réussir, je n’admets pas que par le fait du hasard je tombe précisément sur ce millionième.

De là cette conclusion que, si mes expériences sont mauvaises et elles ne me paraissent ni irréprochables, ni tout à fait mauvaises — c’est parce que je ne me suis pas mis suffisamment en garde contre la perspicacité inconsciente du sujet et contre ma tendance à l’aider et à la faire réussir.

Personne moins que moi ne peut juger du degré de ma naïveté ou de