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société de psychologie physiologique

Gambetta. Mais si les précédents caractères d’infériorité de ce dernier comparé à Bertillon ne se trouvent pas effacés ici, il n’en est pas de même si l’on compare Gambetta à la moyenne vulgaire, car la richesse de son lobe frontal au point de vue du plissement est remarquable, ainsi que l’ont fait observer MM. Chudzinski et Mathias Duval dans leur description. Par conséquent, à supposer que l’on ait le droit d’appliquer à Gambetta la formule : Moins de réflexion et plus d’action », en le comparant à Bertillon, ce droit n’existe plus si l’on compare Gambetta à la moyenne ordinaire.

Cela montre déjà qu’il ne faut pas se hâter de formuler des conclusions physiologiques trop larges à propos de tel ou tel caractère inférieur rencontré sur un cerveau. On va voir apparaître, en poussant plus loin cette comparaison cérébro-psychologique, un autre motif qui commande également, dans l’espèce, une assez grande réserve.

Si l’on ne connaissait pas la fonction de la partie postérieure de la troisième circonvolution frontale gauche, cette minime portion du manteau cérébral n’attirerait guère notre attention en ce moment, et nous n’attacherions pas beaucoup d’importance à un pli de plus ou de moins dans la région du cap de la circonvolution de Broca. Mais nous savons que cette petite région est le centre psycho-moteur du langage articulé, et il s’agit de comparer le cerveau d’un orateur célèbre à celui d’un orateur des plus insuffisants. Bertillon s’exprimait avec difficulté, cherchant ses mots, construisant péniblement ses phrases et cela en dépit d’un goût prononcé pour le beau langage. « En résumé il y avait en lui, dit son ami le Dr Letourneau, un orateur psychique, constamment trahi par ses moyens d’expression. » Il est donc tout particulièrement instructif de comparer entre elles les troisièmes circonvolutions frontales de nos deux cerveaux. Or on sait que chez Gambetta le cap de cette circonvolution possédait un pli supplémentaire, un pli de luxe. Chez Bertillon au contraire, le cap de la troisième frontale gauche était très simple, plus simple même que sur le commun des cerveaux. Il est vrai que Bertillon était un gaucher devenu volontairement ambidextre et qu’il devait se servir, par conséquent, d’après les données physiologiques connues, de sa troisième frontale droite ; et il est vrai aussi qu’il était mieux pourvu de ce côté, ainsi qu’on peut le voir sur les dessins qui accompagnent notre description. Quoi qu’il en soit, il suffit de mettre en relief ce fait, qu’une petite mais importante région du cerveau était plus développée sur le petit lobe frontal de Gambetta que sur le gros lobe frontal de Bertillon, et que cette différence correspondait à une différence physiologique en faveur du premier. Il est possible que Gambetta ait possédé d’autres avantages cérébraux du même genre, avantages dont on a le droit de soupçonner l’existence, encore qu’on soit incapable, pour le moment, de les spécifier. L’étude de la troisième circonvolution frontale a été instructive à cet égard. Je crois toutefois qu’on ne peut guère admettre la possibilité d’une supériorité de Gambetta sur Bertillon quant au développement de la majorité des