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BINET.le problème du sens musculaire

logistes et les cliniciens qui se sont occupés de cette question, les uns s’attachent principalement à ce fait que certains sujets hystériques se servent de leurs membres insensibles, les yeux fermés, avec autant de précision que les yeux ouverts. Ce fait, pris isolément, leur paraît être une preuve irréfutable que les sujets de ce genre possèdent un sentiment d’innervation motrice guidant leurs mouvements volontaires ; en effet, disent-ils, ces malades ont perdu le secours des sensations centripètes de mouvement, puisque le membre dont ils se servent est insensible ; ils sont en outre privés temporairement du secours de la vue, par la fermeture des yeux ; donc, pour qu’ils restent, dans ces conditions, capables de diriger leur activité volontaire, qu’ils pussent par exemple porter directement leur main sur un point de leur face, il faut qu’un état de conscience les éclaire incessamment sur la nature de leurs mouvements, et leur indique à chaque instant la position de leur membre ; cet état de conscience nécessaire ne peut être que le sentiment de la décharge, le sentiment de l’innervation motrice. Telle est l’opinion à laquelle M. Charcot paraît se rallier[1].

Un autre groupe de physiologistes, parmi lesquels nous citerons Bastian, Ferrier, fait fond sur les phénomènes contraires qui ont été observés par Duchenne et par Briquet ; ils trouvent très significatif que, chez certains sujets hystériques, les membres insensibles perdent toute aptitude motrice et soient frappés de paralysie quand les yeux du sujet sont fermés. Ce phénomène, qui est d’ailleurs, nous le répétons pour l’avoir constaté nous-même, tout aussi exact que le précédent, leur sert de fondement pour appuyer la théorie centripète du sens musculaire. En effet, voici leur raisonnement ; si ces sujets sont réduits à l’impuissance motrice par la fermeture des yeux, cela tient à ce qu’ils ont perdu les sensations centripètes de mouvement, qu’ils sont privés du contrôle visuel par les dispositions même de l’expérience, et que, dans ces conditions, il ne leur reste aucun des états de conscience qui sont nécessaires à la mise en mouvement de leurs membres ; preuve évidente, semble-t-il, que ces sujets n’ont aucun sentiment de la décharge motrice, car s’ils possédaient ce sentiment, ils pourraient se mouvoir.

Il nous semble qu’une explication complète doit embrasser les deux séries d’observations.

Nous ne nous dissimulons pas qu’il est fort difficile d’expliquer comment la fermeture des yeux et la privation de lumière, qui laissent à certains sujets hystériques toutes leurs facultés motrices, frappent

  1. Maladies du système nerveux, t.  III, p. 463.