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BINET.le problème du sens musculaire

n’enlève pas le pouvoir d’accomplir avec leurs membres insensibles les actes les plus délicats, comme d’écrire ou de coudre. L’observation de ces malades est bien instructive ; elle nous montre combien de fois il faut regarder un fait avant de le bien connaître. En effet, on a commis, à leur sujet, bien des erreurs. Ainsi les auteurs prétendent que ces malades ont perdu les sensations centripètes du mouvement. Est-ce bien vrai ? On s’appuie sur une expérience un peu trop sommaire, que nous avons rappelée déjà : on constate que le sujet, quand il a les yeux fermés, perd la notion des mouvements passifs qu’on imprime à son membre insensible. Tout ce que cette expérience démontre, c’est que le moi du sujet n’a pas une perception consciente de ces mouvements passifs ; mais si ces mouvements ne sont pas perçus, ils peuvent être cependant l’objet d’un enregistrement physiologique. C’est ce que j’ai montré dans un travail fait en collaboration avec M. Féré (Arch. de physiologie, oct. 1887). Une expérience suffira à le prouver. Le sujet ayant les yeux fermés, si l’on imprime à la main insensible un mouvement graphique quelconque, il arrive souvent que cette main, abandonnée à elle-même, reproduit le mouvement communiqué et trace une seconde fois le mot que l’expérimentateur lui avait fait écrire. Cette expérience, qui réussit sur une foule d’hystériques, prouve évidemment que si le sujet n’a pas eu la perception consciente du mouvement imprimé à sa main, il s’est produit une perception inconsciente, un enregistrement physiologique de ce mouvement[1].

Ce n’est pas tout. Nous venons de voir qu’un grand nombre de sujets conservent la faculté de coordonner leurs mouvements les yeux fermés ; ils écrivent très exactement leur nom, et à l’inspection de leur écriture, on ne se douterait pas qu’elle a été tracée sans le secours de la vue et par une main anesthésique.

Tous ces mouvements sont volontaires ; sont-ils conscients ? Voilà ce que l’on ne nous dit pas. Or, si l’on interroge l’hystérique au moment où il accomplit sans y voir l’acte qu’on lui a commandé, on est tout étonné de sa réponse ; s’il écrit, il dit qu’il ne se sent pas écrivant ; il ordonne en quelque sorte à sa main d’écrire, mais il ne sait pas si sa main a obéi, et lorsqu’on s’oppose au mouvement en immobilisant ses doigts, il croit avoir fini d’écrire tandis qu’il n’a pas tracé une seule lettre. Ainsi les mouvements exécutés par un membre insensible quand l’hystérique a les yeux fermés sont des mouvements volontaires et inconscients. La constatation de ce caractère

  1. Nous ne discutons pas ici la question des rapports entre l’inconscience et la dissociation mentale, question qui se trouve nettement posée par les faits précédents. Nous pensons y revenir plus tard.