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CH. SECRÉTAN.questions sociales

Quant au fait, nul ne saurait le contester. En tout ou en partie, directement ou directement, la différence de nos conditions remonte à des actes du pouvoir. Confondues à l’origine, la souveraineté politique et la propriété du sol ne se sont séparées que lentement, en parcourant des étapes dont on connaît la série. La terre était la monnaie dont le souverain payait les services. La jouissance d’une province, d’un district ou d’un domaine était attachée à l’exercice d’une fonction civile ou militaire, comme la mense est encore attachée au presbytère en maint pays. Les officiers ont rendu leurs emplois héréditaires et se sont soustraits aux charges en conservant les bénéfices, transformés de la sorte en États souverains. Un mouvement pareil s’est produit dans l’intérieur de la comté : l’établissement des armées permanentes en a dégagé les hommes libres de leurs devoirs militaires, mais ils sont restés seigneurs de leurs villages, francs propriétaires des champs qu’ils faisaient cultiver par la corvée, et touchant la dîme de ceux qui nourrissaient leurs vilains. Les dîmes à leur tour ont été abolies, et les vilains sont devenus propriétaires sous la même loi que leurs anciens maîtres. Dans les pays où les biens-fonds sont depuis quelque temps dans le commerce, cette origine politique de la propriété immobilière n’attire plus l’attention, mais ses effets n’en sont pas moins sensibles. Peu importe après cela que toute la valeur de la terre soit le travail enfoui dans son sein ou qu’une part en vienne de la nature, il ne reste pas moins que son appropriation par quelques-uns prive les autres d’un instrument de travail indispensable, et que cette appropriation provient originairement d’actes politiques. D’ailleurs la première opinion n’est qu’une conséquence paradoxale d’une conception spécieuse de la valeur en général, soutenue pour les besoins de deux causes fort différentes et qui pourraient l’une et l’autre se passer de tels arguments[1]. Le travail représenté par la production d’un objet quelconque peut bien fournir, dans les circonstances ordinaires, une mesure approximative de sa valeur, il y a naturellement un rapport entre ces deux choses, mais les frais de production, la quantité de travail consacrée à la production n’est pas la cause réelle de la valeur, pas plus qu’elle n’en fournit la mesure exacte. Le prix des objets de consommation, aussi bien que le prix des instruments de travail, autrement nommés capitaux, dépend tout d’abord de la façon

  1. Les conservateurs se fondent sur cette définition de la valeur pour justifier l’appropriation de la terre, qui aurait été sans valeur à l’origine et ne représenterait aujourd’hui que du travail ; les socialistes s’en autorisent pour établir que tout le profit du capital est pris sur ce que le travailleur devrait recevoir, deux conclusions de tendance opposée, justes l’une et l’autre en quelque partie, et fondées sur un même principe faux.