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CH. SECRÉTAN.questions sociales

de voies ferrées, primeur des nouvelles intéressantes, le privilège en un mot, sous une forme quelconque, dans le présent ou dans le passé. Pour entendre ce que nous disons, il n’est pas besoin de remonter à l’origine des premières inégalités, il suffit, avec la connaissance la plus superficielle du cœur humain, de savoir qui a fait les lois : marchands, seigneurs terriens, fabricants, gens de robe et gens d’épée, personne ne demandera si la classe qui les édicte les fait tourner à son profit. Jusqu’ici, dans les temps modernes et dans les États industriels, la richesse a disposé de ce pouvoir. L’a-t-elle bien ou mal exercé ? nous n’avons pas à nous en enquérir ; la seule chose qui nous importe est de constater que les inégalités du présent sont pour une grande part l’œuvre du prince et de la loi. En face d’un état économique où la marque du pouvoir se trouve partout, il n’est pas permis au Pouvoir de se retirer et d’abdiquer : la formule abstraite de la liberté ne suffit plus à la justice ; chaque situation doit être examinée en particulier, dans ses causes et surtout dans ses effets. La liberté, qui n’a pas produit l’état présent, ne s’y trouve pas toujours réalisée, elle ne règne pas dans les faits, mais elle est toujours l’âme du droit, elle reste toujours le but à poursuivre, et c’est dans l’intérêt de la liberté que l’autorité peut être appelée à s’occuper des rapports entre les individus.

Il est aisé d’appliquer ces considérations à la question du travail salarié. En principe, chacun doit être libre de vendre son travail aux conditions qu’il lui plaît de faire et d’accepter les conditions qu’on lui propose. En principe, l’État n’a pas qualité pour intervenir dans les contrats passés entre deux hommes libres, aussi longtemps qu’ils ne nuisent pas à des tiers. Si, pour subsister, l’ouvrier a besoin d’un salaire, le propriétaire a besoin du travail de l’ouvrier pour tirer parti de son domaine ou de son usine. En principe, il y a donc réciprocité ; mais en fait, par suite d’un ensemble de circonstances où la responsabilité de l’État se trouve engagée, tous les instruments du travail sont appropriés par quelques-uns, tandis que le nombre de ceux qui n’ont que leurs bras pour vivre est relativement considérable. Restreints dans leurs consommations par la médiocrité de leurs ressources, mais tirant parti de leurs enfants dès le bas âge, ils offrent généralement plus de bras qu’il n’en faut pour fabriquer les produits qu’on peut écouler. L’ouvrier a besoin d’avances immédiates, il ne saurait se passer de salaire, même un seul jour ; tandis que généralement le patron peut attendre comme il peut choisir. Entre eux la réciprocité n’est donc pas réelle, le plus souvent l’ouvrier est forcé de subir les tarifs et les règlements qui lui sont offerts.