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L’appropriation de la terre et des capitaux résultant de mesures où l’action des pouvoirs publics n’est pas contestable, a mis une grande partie de la population sous la dépendance absolue de l’autre partie. Le salariat n’est pas un vrai contrat, parce qu’il n’est pas libre, l’ouvrier de l’industrie n’est pas libre, l’État est tenu de le protéger.

Cette protection n’est manifestement qu’un pis-aller : il serait préférable que la condition des particuliers ne dépendit que de leurs propres actes, mais l’État n’a pas le droit d’abandonner ses administrés aux mauvais effets d’une condition dont il est plus ou moins l’auteur, l’État est solidaire de ses propres actes, il ne saurait se renier lui-même ; nécessaire à tous les rapports sociaux, sa continuité est une condition de son existence ; sous ce point de vue, la protection de l’ouvrier est pour l’État une question d’honneur et de probité, une chose qu’il se doit à lui-même. Il doit protection à l’ouvrier comme il la doit au mineur, et pour des raisons analogues, parce qu’en fait l’ouvrier n’est pas libre, sans que ce défaut d’indépendance lui soit généralement imputable. Enfin et surtout, l’État est tenu dans la mesure de ses forces de ménager à l’ouvrier une existence tolérable par la considération de son propre intérêt, par le devoir qui lui incombe de veiller à sa propre existence et de s’assurer les moyens de remplir sa propre mission. Citoyen, l’ouvrier doit être à la hauteur de ses obligations civiques, la culture de son intelligence et de son caractère est nécessaire au fonctionnement des institutions politiques sous le régime du suffrage universel ; soldat, il doit être en état de résister aux fatigues d’une campagne, la santé physique des populations devient pour le pays une question d’indépendance dans un siècle où l’armée comprend toute la population virile ; père de famille, cette santé de l’ouvrier, son intégrité corporelle, mentale et morale, la faculté de produire des enfants robustes et d’élever des enfants honnêtes, c’est la vie ou la mort pour la nation tout entière : trois fonctions du salarié non moins indispensables à l’État qu’incompatibles avec l’uniformité d’un travail incessant, dans des locaux qu’il est trop souvent impossible de rendre absolument salubres.

L’État industriel est donc tenu par le soin de sa propre conservation de ménager à l’ouvrier l’air, l’exercice et le repos. La limitation de la durée de travail dans les fabriques, la fixation d’une journée normale parait ainsi pleinement justifiée au point de vue du libéralisme, car tout en bornant l’office de l’État à garantir l’observation des engagements, nul ne conteste qu’une certaine mesure de liberté chez les contractants ne soit nécessaire pour rendre leurs accords valides ; nul ne saurait décharger l’État de ses propres actes ;