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tif autoritaire, mais au nom de la liberté l’on ne peut pas supprimer toute liberté. S’il n’y avait aucun moyen de réglementer la durée du travail sans réglementer le salaire ou sans déterminer infailliblement une réduction du salaire par l’effet des lois naturelles, les États qui se sont engagés dans cette voie n’auraient qu’à rebrousser chemin le plus tôt possible. Mais il n’est pas certain, malgré l’apparence, que cet enchaînement soit inévitable. C’est ici que se place la question de savoir si, pour subsister dans un pays et pour y fonctionner utilement, la journée normale doit nécessairement s’étendre à tous. Recherchons-en donc les effets probables dans l’une et dans l’autre hypothèse.

La réduction du nombre d’heures exigibles n’aurait pas d’influence bien appréciable sur les industries où la vigueur et l’habileté de l’ouvrier entrent sérieusement en ligne de compte, où le mérite peut compenser la quantité et l’intensité, la durée. Mais ces travaux dont la limitation tutélaire serait moins périlleuse sont également ceux où elle semble moins nécessaire et d’une application plus difficile. Nos réflexions ont essentiellement pour objet la grande industrie, où le rôle prépondérant appartient à la machine, où les mains, dirons-nous en empruntant à l’anglais une figure assez naïve, n’ont besoin ni de force ni d’apprentissage, où, sous l’empire du laissez-faire, la femme supplante l’homme, et l’enfant la femme, parce que l’enfant est moins payé. La réduction des heures entraîne ici, soit une diminution des produits sans diminution de capital fixe, par l’effet d’interruptions qui nécessitent des frais supplémentaires, soit l’institution ou la multiplication des relais, avec une augmentation de dépense que ne saurait compenser l’abaissement du salaire individuel. Cet abaissement d’ailleurs ne se produirait pas du premier coup. Au contraire le besoin des produits et le nombre des ouvriers disponibles restant les mêmes, la restriction mise à leur activité par la loi rendrait chacun d’eux plus indispensable et donnerait à son travail plus de valeur. Mais l’appel déterminé par ces conditions plus favorables aurait bientôt rétabli l’équilibre, et le service amoindri n’obtiendrait qu’un moindre prix. Toutefois l’économie praticable sur ce chef ne saurait être bien forte, puisque le salaire représente nécessairement an moins l’entretien du travailleur et que, pour ces ouvrages faciles où les bras affluent, ce minimum est le plus souvent bien approché. La fabrication deviendra donc plus coûteuse, sans que l’entrepreneur puisse élever ses prix de vente sur les marchés où il se présente en concurrence avec l’étranger. Les tarifs protecteurs lui viendront en aide s’il ne travaille que pour l’intérieur ; ils sont impuissants à secourir les pays industriels où la faculté d’exporter est indispensable pour payer le pain qui vient du dehors ; ils peuvent même